24 September 2006

L'opération (suite 13)

Vers midi, ma sœur et mon beau-frère partent au village pour y déjeuner et commander un plat pour emporter à l’hôpital, moi je reste à l’hôpital avec notre convalescente et je vais descendre déjeuner à mon tour à leur arrivée. J’en profite pour regarder encore et toujours journaux et livres, il n’y a presque plus rien à lire car j’ai à peu près tout lu. Ma mère s’endort et Hary et son mari discutent, la vieille dame qui veille sur la jeune fille du lit à droite somnole dans son siège. Cette jeune fille est son dernier enfant. Elle a déjà été opérée au lèvre inférieure même si cette dernière est encore assez volumineuse, d’après sa mère, c’était encore vraiment pire que ça avant l’opération : au moins le double en volume. Lors d’une précédente visite des médecins, le docteur Roger a dit qu’elle pourra sortir et rentrer dans son lointain village lundi, ce qui l’a mis en joie, que sa lèvre inférieure reprendra peu à peu un volume normal, alors que lors de la visite de ce matin le jeune docteur italien a laissé entendre une deuxième opération la semaine prochaine pour que ce soit parfait.  

Sa mère nous raconte que dès sa naissance la lèvre inférieure de sa fille était déjà importante et cela a augmenté avec les années. Elle était scolarisée mais a bien vite abandonnée l’école au bout de 4 ans à cause des moqueries de ses camarades de classe. Elle est alors devenue timide et renfermée sur elle-même.

Vers 13h 30 ma sœur et son mari sont revenus et je descends à mon tour au village pour casser la croûte. Là dès que Zana la bonne de l’hôtelier m’aperçoit elle me demande un billet de 100 ariary (0,03 €) pour regarder une séance au vidéo club du coin ce soir. C’est la troisième fois en quatre jours qu’elle me demande de l’argent mais je lui donne volontiers, d’autant qu’elle s’occupe bien de nos repas et de l’eau pour nos toilettes à l’hôtel. Le vidéo club et je crois la seule distraction possible dans ce bled perdu, il marche bien évidemment au groupe électrogène. Les seuls films qui marchent sont les films de karaté ou kung-fu, commando pour ceux de production étrangère, depuis quelques années les films malgaches font fureur, aussi bien pour les films d’action que les films de comédie ou films d’amour dans la langue du pays. Les maisons de productions de films malgache poussent comme des champignons depuis 3 ans, avec caméscopes, et deux ou trois magnétoscopes et quelques outils, tout le monde se fait « cinéaste », lol ! Evidemment les budgets sont vraiment minimes et parfois les acteurs ne sont pas payés, mais quelques acteurs commencent à vraiment percer au niveau local.

Vers 14h après avoir déjeuner, je passe acheter chez Rafily trois petits brick de jus d’orange (1500 ariary = 0,55 €) pour maman, Cécile ma sœur et René son mari ainsi qu’une plaquette de 85 g de chocolat Robert au lait (2000 ariary = 0,73 €). Je commence à m’habituer au prix de chez Rafily qui est toujours moins inférieur qu’en ville. L’après-midi nous discutons notamment sur le propos du Dr Roger qui avait dit après la consultation que maman sortira samedi et qui n’était pas évidemment possible, on sort aussi de temps en temps prendre l’air sur la galerie. Justement lors d’une sortie sur la galerie intérieure qui donne sur la cour aux parterres fleuris, je remarque un homme très décharné qui sort de la chambre « médicine H » (pour ces messieurs donc) contiguë à celle de ma mère, il a un peu de mal à tenir sur ces jambes. Il est tellement décharné que ça fait presque peur, comme s’il est tout droit sorti d’un film documentaire sur Auschwitz, je me pose deux questions, soit c’est un tuberculeux en phase terminale soit un sidéen, à moins que ce ne soit les deux. Je penche pour la première supposition. Mais pourquoi ne pas mettre dans un bâtiment à part ces malades ? J’ai déjà entendu que les tuberculeux traités cessent d’être contagieux après trois semaines de traitement mais tout de même. Je rentre assez vite dans la chambre et notre discussion entre gardes malades continue, en fait les lits de l’hôpital ne sont pas suffisants pour les malades, voilà pourquoi certains médecins désirent libérer plus vite certains lits, d’autre part l’hôpital continue encore et toujours son extension, d’où ce nouveau terrain d’environ un hectare qu’on est en train de clôturer sur le bord droit de l’allée qui mène à cet hôpital en forme de U. Peut-être que l’extension finie, les tuberculeux seront mis dans une aile spécialement aménagée pour mieux les traiter et aussi pour éviter les contaminations. Il semble que tous les occupants de la chambre H sont tous de tuberculeux. Le plus grave c’est que la plupart des gens ne viennent dans cet hôpital que lorsque leurs maladies sont déjà dans un état bien critique. Même si l’hôpital est bien renommé, il ne peut tout de même faire des miracles lorsque la maladie est déjà avancée chez le malade.

Bientôt il fait déjà nuit. Mon beau-frère et moi descendons au village vers 18h30 et il reviendra à l’hôpital avec les repas pour maman et ma sœur. Après dîner je paie comme toujours avec l’addition le prix de la nuitée de la chambre. Mon beau-frère ne monte pas tout de suite à l’hôpital car il cède lui aussi de temps en temps à son péché mignon pour 1500 ariary le 65cl (0,55€): la boisson Three Horses Beer, une bière blonde produite localement et qui a déjà obtenu au moins une dizaine de médailles d’or et d’argent lors des mondes sélections de Bruxelles, la dernière en date est une médaille d’argent à Bruxelles 2004. Il partage avec le père Jean-Claude cet engouement assez modéré heureusement pour le THB qui est une fierté nationale de par ses succès à l’échelle mondiale.

Après le départ de mon beau-frère je fais mon lit et m’endors.

Dimanche 30 juillet 2006 :

Lorsque j’arrive à l’hôpital ce matin-là, j’entends une mauvaise nouvelle : un des tuberculeux de la chambre H est décédé.

Et voilà qu’en deux jours il y a deux morts, et ce n’était pas encore fini.

(A suivre)

 

 

 

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