02 December 2006

L'opération (suite 16)

Face à cette alerte je me dis : Pourvu que René soit déjà arrivé à l’hôpital ». Je demande un seau d’eau à Zana pour me laver avant d’aller rejoindre ma chambre. La bonne s’empresse de donner l’eau voulu car elle veut vite rentrer chez elle en entendant cette alerte.

Lundi 31 Juillet 2006 :

Au réveil, je me dis qu’aujourd’hui c’est le grand jour de la rentrée à la maison. René arrive peu après et je lui demande s’il a entendu l’alerte de la veille.

- Oui, me dit-il, j’étais à 100 mètres de la grille lorsque j’ai vu quelque chose bouger dans un fourré sombre qui descend vers la vallée, j’ai bien regardé malgré la lumière qui faisait défaut à cet endroit et j’ai vu l’ombre de trois ou 4 personnes qui s’enfonçaient dans la nuit, et cela quelques minutes après avoir entendu les coups de sifflets. Je me suis alors hâté de rejoindre la grille.

Nous commandons 4 plats de sosoa et après avoir pris la nôtre nous en emportons deux à l’hôpital. Il est 7 heures et tout le village est déjà levé depuis plus d’une heure.

Arrivé à l’hôpital, nous constatons que maman vient juste de se réveiller et ma sœur de sortir de la douche. On commente dans la chambre l’alerte de la veille, peu après on se pose la question si on va effectivement sortir dans la matinée ou l’après-midi. Vers 9 heures maman me demande d’aller acheter une bouteille d’eau au village. La garde malade de Hary en profite pour me demander d’acheter pour elle aussi des menakely (beignets) en me donnant 200 ariary.

Je redescends donc au village accompagné de René qui n’a pas trop envie de rester dans la chambre et nous achetons une bouteille d’eau ainsi que du Fanta et du chocolat. Maman a un péché mignon pour les chocolats. On achète aussi les beignets pour la dame qui garde Hary et qui doit être sa tante.

Au village on clôture avec des vastes toiles PK la grande place du village pour le spectacle de Rasoa Kininike l’après midi. L’organisateur du spectacle a opté pour la place du village car la grande cour de la famille de Marie qu’ils ont lorgnés coûte trop cher en terme de location : deux millions cinq cent mille francs soit 500.000 ariary (183 euros). Au marché c’est aussi l’effervescence car c’est jour du grand marché hebdomadaire.

De retour à l’hôpital une mauvaise nouvelle tombe : Un autre patient vient de décéder. Encore ! C’est le troisième décès en l’espace de quelques jours. Cette fois-ci c’est un patient qui est à la fois cardiaque et asthmatique. Les deux dames qui sont les filles du patient n’ont guère appréciées que leur belle-mère soit au chevet de leur père et le lui ont fait savoir en aparté, qu’elle doit quitter leur père et ne plus revenir. Pour ne pas alerter son époux, la belle-mère en question a dit à son mari qu’elle doit absolument retourner dans leur village voir leur bétails et si tout va bien là-bas. Le mari ne doit pas être dupe de l’agissement de ses filles qui viennent tout juste d’arriver mais aussi du changement d’attitude de son épouse car il a été très peiné et a pleuré selon les autres gardes-malades dans sa chambre. Peu de temps après il a fait une crise qui l’a conduit à une mort soudaine. Peut-être a-t-il fait un AVC ? C’est très probable.

Nous sommes plus que jamais impatients de rentrer, d’autant que l’atmosphère à l’hôpital devient glauque avec ces morts qui s’ensuivent à un rythme effrayant. J’en arrive même à détester ces corbeaux qui rodent autour de l’hôpital, oiseau de mauvaise augure par excellence ;-(

Nous pensons tout de même que ces morts successifs ne sont pas la faute de l’hôpital ni des personnels soignants, c’est plutôt la faute des patients qui ne viennent se soigner ici qu’à un stade avancé de leur maladie, persuadés qu’après avoir tout essayé ailleurs, cet hôpital renommé ferait un miracle.

Peu après maman nous demande de porter le fisaorana au Docteur Roger sans qui le chirurgien vasculaire qui est son ami ne serait pas venu ici. Nous partons René et moi vers son bureau avec 30.000 ariary dans l’enveloppe, nous allons profiter de lui demander quand maman pourra sortir car en tant que médecin chef il doit bien le savoir.

Arrivés à son bureau, c’est le petit discours d’usage puis, peu avant notre sortie, il nous dit que la sortie de maman se fera peu après la visite des médecins dans les chambres l’après-midi.

Nous retournons tout de suite à la chambre pour mettre au courant ma mère et ma sœur afin qu’elles se préparent petit à petit pour ne pas être prise de court le moment venu. Dans la chambre on commence à tourner comme des lions en cage d’autant plus qu’il n’y a plus de passe temps possible, les livres et journaux ont tous déjà été lus et même relus depuis samedi après-midi. Ma sœur, son mari et moi sortons sur la galerie pour prendre un peu de soleil, à peine sommes assis que des hommes passent avec un corps emballé entièrement dans un lamba (linge de la taille d’un drap avec lequel les autochtones ont l’habitude de s’envelopper et dont ils ne se séparent que pour travailler) en petits carreaux violets et blancs dans les bras. C’est sûrement l’homme décédé aujourd’hui, près de la grille un peugeot 404 attend le corps.

Je laisse ma sœur et mon beau-frère à leur bain de soleil et je déambule de la galerie extérieure à la galerie intérieure pour me changer un peu les idées, j’arrive presque devant la chambre des tuberculeux lorsque je vois un homme très décharné en sortir, l’air de rien je presse un peu plus mon pas en passant devant en retenant ma respiration, ma sœur qui m’aperçois 20 m devant en rit, elle sait pertinemment pourquoi je passe vite comme ça, un peu comme si j’avais le diable à mes trousses. Ma sœur sait très bien que je suis un peu hypocondriaque sur les bords.

Il est un peu plus de midi lorsque nous descendons Réné et moi au village pour les commandes du déjeuner.

(A suivre)

 

 

24 October 2006

L'operation (suite 15)

Nous prenons ensuite le chemin de l’hôtel et tandis que la dame de l’hôtel et Zana préparent les commandes du déjeuner pour maman et ma sœur Cécile, moi et René nous en profitons pour manger vite fait. Je bois à volonté du ranovola (littéralement « eau d’argent », une eau qu’on obtient en brûlant la croûte du riz qu’on vient de cuire, dès que la croûte est assez brûlée mais pas trop, on y ajoute de l’eau et on obtient ainsi de l’eau qui a la couleur du thé) en guise d’eau de table. Après avoir payé les 6.000 ariary (2,20 €) des 4 plats commandés, nous retournons ensuite à l’hôpital avec dans la main le panier contenant les déjeuners de maman et de ma sœur.

Après le déjeuner de ces dernières, Cécile et René décide de descendre au village pour acheter quelques broutilles, ils en profitent aussi pour prendre une sieste à l’hôtel car à l’hôpital il n’y a pas moyen d’en faire dans la journée et la nuit on veille la plupart du temps sur les malades. Je leur donne donc la clé de la chambre et je m’assois au pied du lit pour relire les journaux, dans ce village de 2000 habitants il n’y a aucune boutique qui vend quelque chose de lisible : ni journaux ni livres. Même à Ihosy (30.000 habitants) il est difficile de trouver des bons livres, surtout si vous cherchez une œuvre en particulier, dans ce dernier cas il faut aller à la capitale pour être sûr à 70% de trouver ce que vous cherchez. C’est ainsi qu’il m’a fallu plusieurs voyages à la capitale pour trouver enfin « Le pont de la rivière Kwaï » de Pierre Boule et « Les fleurs du mal » de Baudelaire, et encore, je les ai trouvé dans les livres d’occasion, les fameuses kiosques d’Ambohijatovo, l’équivalent des kiosques au bord de la Seine, lol !

Mais bon, à vrai dire la comparaison s’arrête là puisque les rares bons livres d’Ambohijatovo sont vite loués ou achetés par des particuliers qui les retiennent et que finalement la plupart du temps on n’y trouve que des bouquins sans grand intérêt.

Maman profite de la digestion pour faire aussi de la sieste.

Après trois heures passés au pied du lit, n’ayant plus rien à lire je commence à m’ennuyer ferme, heureusement que Migy met peu de temps après la radio en marche.

Ma sœur et sont mari reviennent vers 15h30 et vers 16h je descends au village pour acheter du jus d’orange pour maman. René descend avec moi car on va aussi passer chez Jean-Claude son ami prêtre car ce dernier a un téléphone portable de même marque que la mienne et on voulait emprunter son chargeur, histoire de charger mon téléphone sur la prise de l’hôpital, à l’insu du personnel hospitalier bien entendu. Lorsque Jean Claude veut téléphoner en ville, il prend sa moto et s’éloigne de 12km du village pour trouver enfin un réseau.

Pas de bol, il a cette fois laissé son téléphone et son chargeur en ville.

En passant devant notre hôtel pour aller à la boutique de Rafily, nous voyons un attroupement et deux ou trois voitures pas loin. On se demande se qui se passe et on pose la question à un badaud, il s’avère que c’est Rasoa Kininike et son groupe qui viennent d’arriver et qui déjeune avec du retard à notre hôtel.

Eh bien, me dis-je, il va y avoir de l’ambiance demain, surtout que Lundi c’est jour de marché pour Sakalalina et tous les villages aux alentours viennent. Le petit hic c’est au niveau du prix du billet :2.500 ariary (0,92 €) au lieu de 2 .000 ariary (0,73 €) comme en ville, mais bon, ici c’est un coin plus reculé et la route est mauvaise avant d’y arriver.

Après notre petite course, nous reprenons le chemin de l’hôpital, 100 mètres avant d’arriver devant le petit terrain de foot (tout pelé et sableux par endroits), nous voyons le jeune chirurgien italien qui regarde le match des jeunes du village. Il est toujours en tricot noir et jean, à moins qu’il en ait plusieurs. J’en fais la remarque à mon beau-frère qui dit :

- Voyons voir et si la poche derrière de son jean a toujours un trou, c’est toujours le même pantalon.

- Tiens ! Tu as remarqué aussi ?

Arrivé devant les footeux, nous saluons le vazaha qui nous rend notre salut. Nous regardons discrètement son derrière : le trou de la poche arrière est bien là avec à l’intérieur une portefeuille en cuir.

- C’est le même ! Dis René tout bas après avoir fait 3 mètres et nous éclatons de rire discrètement.

Aux environs de 17 heures, les médecins sont une visite et ils confirment notre sortie pour le lendemain. Ils demandent à maman de quitter le lit et de faire des marches lentes accompagnées dans les galeries. La marche sera très bien pour vous disent-ils.

Maman se lève dont et s’appuie sur ma sœur qui l’accompagne pour ces marches.

Vers 17h 30 les infirmières font leurs rondes pour les injections.

Vers 18h, nous redescendons au village, en passant devant l’école du centre d’éducation de base, nous voyons les voitures et toute la troupe de Rasoa Kininike qui y a élu domicile. C’est les vacances et l’école est déserte, en plus c’est sûrement plus économique que d’élire domicile à l’hôtel qui ne peut en plus les loger tous.

Je laisse René devant une bouteille de THB au bar et je repasse acheter une bouteille d’eau et un rouleau de papier toilette chez Rafily. J’y rencontre pour la énième fois le docker, cette fois-ci il est tout pompette, tout sourire et il me fait carrément les yeux doux ! Enervé par cet ivrogne, mes achats dans les mains, je tourne les talons pour m’en aller lorsque je m’arrête net on voyant un jeune homme qui me regarde fixement l’air amusé. En fait il semble avoir été bien amusé par le manège du docker. Cette fois-ci je suis sûr d’avoir déjà vu le mec mais où ?

Une seconde après la mémoire me revient :

- Ah A….. ? (Je tairais son nom au cas où lui ou son copain tomberait par hasard sur mon blog ;-) Mais qu’est-ce que tu fais dans ce bled ?

A….. est un célèbre animateur radio à Ihosy et il travaille pour une station concurrente de la radio AVEC. Marié et père de famille, le gugus sort pourtant avec l’un des plus beaux partis de la ville, le fils d’une richissime famille, deuxième fortune de la ville.

- Eh bien je suis venu ici car je suis avec…. (son copain) l’organisateur du spectacle de Rasoa Kininike. Je suis venu avec la sonorisation dont je vais m’occuper.

- Et pourquoi…. n’est-il pas venu ?

- Il est très occupé mais j’espère qu’il va pouvoir venir demain avant le spectacle.

Je quitte rapidement A..... après une brève discussion et retourne à l’hôtel. A 18h 15 il fait déjà sombre, c’est l’hiver qui veut ça.

Nous avons fini de dîner à 19h, on dîne toujours très tôt à la campagne et René retourne tout de suite après à l’hôpital avec dans la main les victuailles pour les deux femmes. A peine est-il parti 15 minutes que des coups de sifflets stridents envahissent le village alors que la lune vient depuis peu d’apparaître. Une alerte qui signifie qu’une attaque a lieu au village ou dans les environs immédiats.

(A suivre)

 

18 October 2006

L'opération (suite 14)

Les gardes malades dans les chambres commentent ces décès qui deviennent un peu successifs. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de sujets de conversations. Les deux convalescentes ainsi que maman qui se trouvent dans la même chambre commencent sérieusement à avoir des envies de rentrer plus vite à la maison.

Je redescends au village vers 7 heures avec René remporter les affaires de la nuit et aussi prendre la commande du petit déjeuner de maman et de ma sœur. Elles viennent de choisir encore du sosoa au kitoza au détriment du vary amin’anana (littéralement « riz aux légumes »), l’autre plat traditionnel en matière de petit-déjeuner.

Nous repassons chez Rafily avant d’aller à l’hôpital pour acheter du papier toilette softy, du Fanta citrus et 2 jus d’orange en brick.

Vers 9 heures les infirmières passent dans les chambres comme toujours faire leurs injections quotidiennes d’antibiotiques, de vitamines ou autres selon les patients.

Les autres gardes malades et nous discutons des prix défiant toute concurrence pratiqués chez Rafily. En fait, il s’avère selon les gardes malades du lit à gauche de maman, que Rafily se fournit directement à la capitale et en plus il prend une très mince marge bénéficiaire afin de « tuer » tous les autres concurrents. Et cela semble marcher car les autres commerçants du village vivotent alors que chez lui ça ne désemplit pas. Il en est de même pour la ligne des taxis-brousse qui relie Ihosy à Sakalalina, il y avait un temps ou d’autres voitures se sont mis à faire la même ligne, Rafily a alors baissé très bas jusqu’à perte (incroyable mais vrai !) le prix du ticket de ses voitures. Devant une telle concurrence déloyale et ne pouvant pas baisser au même prix le prix de ses billets, ses concurrents ont du mal à trouver des voyageurs et finalement, abandonnent cette ligne. Dès qu’il n’y a plus de concurrent, Rafily rehausse le prix du ticket. Diabolique mais efficace !

Vers 10 heures, la doctoresse Seheno passe dans la chambre et dit à maman qu’elle rentrera probablement lundi, sans préciser si ce sera lundi matin ou dans l’après-midi. Elle dit pour la jeune fille opérée au lèvre qu’elle restera probablement encore pour quelques jours afin d’être réopérée. Il ne faut pas se hâter de rentrer dit-elle, il faut que tu sois réopérée pour que cette lèvre sera parfaite. Cela met la jeune fille au bord des larmes, elle qui se voyait déjà rentrer aussi lundi comme Hary et maman. Cela aussi est la faute aux médecins, Dr Misa et Dr Roger lui avait déjà laissé entendre qu’elle rentrera bientôt et que ce qui reste de gonflement sur sa lèvre sera peu à peu absorbé, elle était déjà bien contente d’entendre cela.

Nous avons pitié de cette jeune fille qui tombe en larme dès que Dr Seheno sorte de la pièce. Toujours cette hâte de certains médecins à ce que certains lits soient vite évacués afin de permettre aux nombreux patients en attente d’hospitalisation de les occuper.

Vers 11 heures, maman nous dit d’apporter le fisaorana (remerciement) à la sage-femme qui nous avait prévenus lorsque nous étions à Ihosy de l’arrivée de ce chirurgien spécialiste vasculaire. Le fisaorana est très présent dans la vie quotidienne malgache, par exemple toute bénédiction nuptiale se termine presque toujours par le fisaorana qu’on donne au prêtre qui a officié, en plus de la quête lors de la cérémonie. Le fisaorana consiste en une somme qu’on met dans une enveloppe [généralement de couleur beige ou blanche dans la joie, rarement de couleur bleue, cette dernière étant souvent réservée pour le faho-dranomaso (littéralement essuie-larme) qu’on donne lors des décès pour aider dans les divers préparatifs funèbres la famille éplorée] qu’on donne et dont la contenue diffère selon la possibilité et l’idée de celui qui le donne.

Tous les 4 (Maman, René, Cécile et moi) nous nous sommes mis d’accord sur la somme de remerciement qu’on va donner à la sage-femme sans qui on n’aurait pas pu venir : 20.000 ariary soit 100.000 francs (7,33 €), environ le tiers de son salaire mensuel je pense.

Moi et mon beau-frère donc descendons au village pour apporter le fisaorana à la sage-femme qui n’est pas de garde aujourd’hui, lorsque nous arrivons à sa maison elle n’est pas là car elle est sortie, nous décidons de revenir un peu plus tard. Nous sommes déjà partis lorsque nous l’apercevons qui se dirige vers sa maison. Nous décidons de revenir chez elle.

Elle s’est débarrassée de son sac et veste lorsque nous arrivons. Elle nous invite à entrer dans un petit living simple mais chaleureuse. C’est mon beau-frère en tant qu’aîné en âge qui s’occupe du petit kabary (discours) de remerciement après avoir énoncé le but de notre visite et c’est moi qui après le petit discours lui donne l’enveloppe.

La sage-femme après avoir pris l’enveloppe nous remercie dans un court discours comme le veut la tradition. Après cela nous restons un peu discuter de choses et d’autres puis nous prenons congé de notre hôte. Le tout a durée une dizaine de minutes à peine.

(A suivre)

24 September 2006

L'opération (suite 13)

Vers midi, ma sœur et mon beau-frère partent au village pour y déjeuner et commander un plat pour emporter à l’hôpital, moi je reste à l’hôpital avec notre convalescente et je vais descendre déjeuner à mon tour à leur arrivée. J’en profite pour regarder encore et toujours journaux et livres, il n’y a presque plus rien à lire car j’ai à peu près tout lu. Ma mère s’endort et Hary et son mari discutent, la vieille dame qui veille sur la jeune fille du lit à droite somnole dans son siège. Cette jeune fille est son dernier enfant. Elle a déjà été opérée au lèvre inférieure même si cette dernière est encore assez volumineuse, d’après sa mère, c’était encore vraiment pire que ça avant l’opération : au moins le double en volume. Lors d’une précédente visite des médecins, le docteur Roger a dit qu’elle pourra sortir et rentrer dans son lointain village lundi, ce qui l’a mis en joie, que sa lèvre inférieure reprendra peu à peu un volume normal, alors que lors de la visite de ce matin le jeune docteur italien a laissé entendre une deuxième opération la semaine prochaine pour que ce soit parfait.  

Sa mère nous raconte que dès sa naissance la lèvre inférieure de sa fille était déjà importante et cela a augmenté avec les années. Elle était scolarisée mais a bien vite abandonnée l’école au bout de 4 ans à cause des moqueries de ses camarades de classe. Elle est alors devenue timide et renfermée sur elle-même.

Vers 13h 30 ma sœur et son mari sont revenus et je descends à mon tour au village pour casser la croûte. Là dès que Zana la bonne de l’hôtelier m’aperçoit elle me demande un billet de 100 ariary (0,03 €) pour regarder une séance au vidéo club du coin ce soir. C’est la troisième fois en quatre jours qu’elle me demande de l’argent mais je lui donne volontiers, d’autant qu’elle s’occupe bien de nos repas et de l’eau pour nos toilettes à l’hôtel. Le vidéo club et je crois la seule distraction possible dans ce bled perdu, il marche bien évidemment au groupe électrogène. Les seuls films qui marchent sont les films de karaté ou kung-fu, commando pour ceux de production étrangère, depuis quelques années les films malgaches font fureur, aussi bien pour les films d’action que les films de comédie ou films d’amour dans la langue du pays. Les maisons de productions de films malgache poussent comme des champignons depuis 3 ans, avec caméscopes, et deux ou trois magnétoscopes et quelques outils, tout le monde se fait « cinéaste », lol ! Evidemment les budgets sont vraiment minimes et parfois les acteurs ne sont pas payés, mais quelques acteurs commencent à vraiment percer au niveau local.

Vers 14h après avoir déjeuner, je passe acheter chez Rafily trois petits brick de jus d’orange (1500 ariary = 0,55 €) pour maman, Cécile ma sœur et René son mari ainsi qu’une plaquette de 85 g de chocolat Robert au lait (2000 ariary = 0,73 €). Je commence à m’habituer au prix de chez Rafily qui est toujours moins inférieur qu’en ville. L’après-midi nous discutons notamment sur le propos du Dr Roger qui avait dit après la consultation que maman sortira samedi et qui n’était pas évidemment possible, on sort aussi de temps en temps prendre l’air sur la galerie. Justement lors d’une sortie sur la galerie intérieure qui donne sur la cour aux parterres fleuris, je remarque un homme très décharné qui sort de la chambre « médicine H » (pour ces messieurs donc) contiguë à celle de ma mère, il a un peu de mal à tenir sur ces jambes. Il est tellement décharné que ça fait presque peur, comme s’il est tout droit sorti d’un film documentaire sur Auschwitz, je me pose deux questions, soit c’est un tuberculeux en phase terminale soit un sidéen, à moins que ce ne soit les deux. Je penche pour la première supposition. Mais pourquoi ne pas mettre dans un bâtiment à part ces malades ? J’ai déjà entendu que les tuberculeux traités cessent d’être contagieux après trois semaines de traitement mais tout de même. Je rentre assez vite dans la chambre et notre discussion entre gardes malades continue, en fait les lits de l’hôpital ne sont pas suffisants pour les malades, voilà pourquoi certains médecins désirent libérer plus vite certains lits, d’autre part l’hôpital continue encore et toujours son extension, d’où ce nouveau terrain d’environ un hectare qu’on est en train de clôturer sur le bord droit de l’allée qui mène à cet hôpital en forme de U. Peut-être que l’extension finie, les tuberculeux seront mis dans une aile spécialement aménagée pour mieux les traiter et aussi pour éviter les contaminations. Il semble que tous les occupants de la chambre H sont tous de tuberculeux. Le plus grave c’est que la plupart des gens ne viennent dans cet hôpital que lorsque leurs maladies sont déjà dans un état bien critique. Même si l’hôpital est bien renommé, il ne peut tout de même faire des miracles lorsque la maladie est déjà avancée chez le malade.

Bientôt il fait déjà nuit. Mon beau-frère et moi descendons au village vers 18h30 et il reviendra à l’hôpital avec les repas pour maman et ma sœur. Après dîner je paie comme toujours avec l’addition le prix de la nuitée de la chambre. Mon beau-frère ne monte pas tout de suite à l’hôpital car il cède lui aussi de temps en temps à son péché mignon pour 1500 ariary le 65cl (0,55€): la boisson Three Horses Beer, une bière blonde produite localement et qui a déjà obtenu au moins une dizaine de médailles d’or et d’argent lors des mondes sélections de Bruxelles, la dernière en date est une médaille d’argent à Bruxelles 2004. Il partage avec le père Jean-Claude cet engouement assez modéré heureusement pour le THB qui est une fierté nationale de par ses succès à l’échelle mondiale.

Après le départ de mon beau-frère je fais mon lit et m’endors.

Dimanche 30 juillet 2006 :

Lorsque j’arrive à l’hôpital ce matin-là, j’entends une mauvaise nouvelle : un des tuberculeux de la chambre H est décédé.

Et voilà qu’en deux jours il y a deux morts, et ce n’était pas encore fini.

(A suivre)

 

 

 

18 September 2006

L'opération (suite 12)

Samedi 29 Juillet 2006 :

Je me réveille de bonne heure, dans mon lit ma première pensée c'est de savoir si maman s'est enfin réveillée de son profond sommeil. Je vais au petit coin puis me lave un peu plus vite que d'habitude avant d'aller à l'hôpital. Je prends la route de l'hôpital à 6h du matin, un peu partout le long du chemin on sent comme tous les matins des odeurs de cafés fumants et de mofo gasy (sorte de doux beignets typiquement malgache faits avec de la farine de riz) sortant des chaumières et gargots qui se trouvent sur les côtés.

Quelques uns des passants qui vont comme moi prendre la route de l'hôpital s'y arrêtent pour leur traditionnel café matinal, moi qui ne bois que très rarement du café je passe mon chemin. Le froid matinal me saisit et des brouillards assez épais enveloppe la vallée tout autour.

A 6h 15 j'arrive enfin à l'hôpital. Je rentre dans la chambre et vois ma sœur qui est assis sur la chaise près du lit, quant à ma mère elle dort. Ma sœur me dit que maman ne s'est réveillée qu'à 3h du matin ! Elle était bien contente de trouver à son réveil ma sœur et mon beau-frère puis elle a demandé où j'étais, ma sœur a répondu que j'étais au village mais viendrais tôt dans la matinée. Peu après son réveil elle s'est rendormie. Les gardes malades de la chambre se relaient dans la douche et préparent leurs couches et couvertures qui vont être descendu au village, justement celui de mon beau-frère vient d'être fin prêt dans le sac camouflage. On discute un peu puis peu après ma mère se réveille pour la deuxième fois. Elle est encore un peu faible mais déjà bien consciente, sa perfusion sera arrêtée dans la matinée dixit le médecin. Elle pourra déjà prendre des légers repas.

Je passe mes bras dans les deux anses du sac et les mets sur les épaules, le sac dans le dos puis repart au village passer la commande du petit déjeuner. Ce sera du sosoa avec du kitoza (viande fumée ou séchée qu'on grille ou qu'on frit dans de l'huile) pour tous les quatre, bien tendre comme l'hôtelier sait le faire. Mon beau-frère descend au village avec moi, on va y manger puis revenir apporter à l'hôpital le petit déjeuner de maman et ma sœur. A 7h 10 environ on repart pour l'hôpital pour y rester jusqu'à l'heure du déjeuner. Mon beau-frère s'arrête sur une paillote au bord du chemin pour acheter le café quotidien de ma sœur qui en est une adepte ainsi que quelques mofo gasy pour accompagner ça, il m'en donne, ce que j'accepte volontiers vu le temps que je n'en ai plus mangé, au moins un an !

Sur le chemin, il me dit que sa femme va sûrement demander son café à notre arrivée. En effet, dès la grille en vue, nous apercevons ma sœur assis sur le muret de la galerie, dès que nous sommes à 3 mètres, la première chose qu'elle demande c'est « Où est mon café ? » Ce qui nous fais bien rire et elle rit à son tour. Mon beau-frère sort de son blouson la bouteille où il a mis le café et le lui tend avec les mofo.

Peu après notre retour à l'hôpital, un jeune homme d'une vingtaine d'année entre dans la chambre, c'est le mari de Hary, la malade de gauche qui a été opéré de fibrome. Il a apporté un petit poste de radio avec lui et qu'il met en marche sans tarder afin de mettre un peu d'ambiance dans la chambre. Comme toujours ici à la campagne, c'est la radio AVEC d'Ihosy qu'on écoute. Plusieurs annonces passent sur fond de bande annonces, entre autre le passage de la chanteuse Solange Kininike ici à Sakalalina pour un spectacle le lundi 31 juillet. Solange est une chanteuse très connue partout à Madagascar, aussi connue pour ses rythmes musicales très chaudes aussi bien que pour ses danses des fesses avec ses danseuses, lol ! Comme si leurs derrières étaient prises de la danse de saint-Guy !

Après des interminables annonces en tous genre, on a enfin droit à de la musique, j'apprécie en particulier l'indémodable « Ballade pour Adeline » de Richard Clayderman, suivi de plusieurs autres aussi bien locale qu'internationale dont un vieux tube de Boney M. Je me disais que ça doit être François de Paul, un de nos clients du bar à Ihosy qui est à l'animation vu qu'il raffole de ce vieux groupe.

Radio et journaux aident à passer ainsi le temps. Une infirmière passe vers 8h 30 arrêter la perfusion de maman, la veille le docteur a déjà dit que maman peut manger à partir d'aujourd'hui car c'est sa jambe qui a été opéré et non le ventre. Pour Hary le docteur a été formel, elle ne devra songer à manger qu'à partir du moment ou elle commence à dégager de l'air, une litote pour dire péter.

Vers 9h maman mange de bon appétit son sosoa au kitoza, elle mange avec une telle faim que ma sœur qui n'a pas encore mangée la sienne décide de lui donner une bonne moitié de sa part, c'est bon signe pour notre malade qui se remet de son opération et de ses émotions vu qu'elle aussi avait particulièrement peur.

Vers 10h deux doctoresses passent pour des visites et dit à Migy, le mari de Hary qui ressemble un peu à Carl Lewis mais en plus petit, d'arrêter pour un moment la radio car les chirurgiens vont bientôt visiter les malades qui ont étés opérés dans les chambres.

Vers 11 heures en effet, plusieurs docteurs dont pas mal de chirurgiens visitent les patients opérés. Ils regarde la jambe gainée de maman et commente des choses entre eux, surtout les deux italiens, le vieux et le jeune, Dr Roger traduit qu'on doit mettre quelque chose sous le matelas afin de surélever la jambe qu'on vient d'opérer. Le jeune médecin italien nous regarde et je lui adresse un « grazie mille » pour s'être occupé de l'opération de maman. Il ne dit rien me sourit, content qu'on lui adresse deux mots dans sa langue maternelle.

Vers 11h15, quelques temps après le passage des médecins, je sors sur la galerie prendre l'air et un peu de soleil, pas plus de 5 minutes tout de même pour ne pas devenir une écrevisse avec mon allergie. Je m'assois près du mari de ma sœur et de Migy qui y sont déjà. A peine je m'assois depuis 2 minutes que je suis intrigué en remarquant une chose chez Migy et que je n'ai pas vu chez sa femme, les ongles courts de Migy ont des vernis écaillés rouges vifs ainsi que ses orteils à travers ses sandales ! Je souris un peu : imaginez Carl Lewis avec des ongles vernis, ce serait drôle. Migy n'a pourtant rien d'efféminé du tout et voilà une chose qui m'intrigue beaucoup chez pas mal de mecs ici, dans ma région en tous cas. Un de nos clients du bar, menuisier de son état, velu et taillé comme une armoire à glace a trois ou quatre doigts vernis. A la caisse nationale de prévoyance ou à la banque, il n'est pas rare de voir des clerks avec deux ou trois ongles vernis….

Soudain une triste nouvelle s'échange parmi les gardes malades ou patients sur la galerie. Un enfant dans le service pédiatrie est mort, ce doit être l'enfant que le père Jean-Claude a baptisé.

(A suivre)



17 September 2006

L'opération (suite 11)

On a beau se dire que tout ira bien, on en est pas moins angoissé, les imprévues ne sont jamais écartés à 100% et personnellement, je pense qu'en matière d'opération, le risque zéro n'existe pas. Je me dis que des impondérables tels que choc anaphylactique à l'anesthésie ou autres médicaments possibles administrés pendant l'opération peuvent parfois survenir dans certains cas, puis après j'essaie de me calmer en me disant que j'ai trop une imagination débordante à force de voir « Urgence » à la télé !        

Je scrute de temps en temps la porte de la salle d'opération par la porte donnant sur la galerie intérieure d'où est sorti l'anesthésiste en poussant la civière.  A 14h00 pile au moment où je regarde par la porte pour la troisième fois, je vois je vois la civière qui sort de la salle d'opération. J'aperçois maman parfaitement immobile sur la civière mais l'attitude très calme de l'anesthésiste et de l'infirmière qui va avec lui me rassure.

- La voilà qui sort, dis-je pour les personnes à l'intérieur.

Voilà que soudain trois têtes regardent en même temps par la porte, en l'occurrence moi, ma sœur et mon beau-frère.

Quelques secondes après, on ouvre grand les deux battants afin que la civière puisse entrer sans encombre.   Ma sœur est vraiment très atterrée en voyant maman les yeux clos, la bouche à demi-ouverte et sans réaction. Moi je regarde tout de suite si elle respire, sa poitrine se soulève doucement, ouf !

Une fois de plus au moment où l'on va soulever maman pour la mettre sur le lit, l'anesthésiste dit aux hommes de sortir. Mon beau-frère et moi sortons et à ce moment j'aperçois le jeune chirurgien italien sortir le premier du bloc tout en enlevant son chapeau chirurgicale puis sa blouse blanche, l'air harassé avant de tourner dans le couloir de gauche, et il y a de quoi : voilà depuis 8 heures du matin qu'il y est entré et il n'en sort qu'à 14 heures et quelques, il est non seulement fatigué mais a faim aussi !

Dès que les deux hommes sont repartis avec la civière, non pas sans nous avoir dit de garder notre calme, qu'elle dort et qu'on doit la laisser dormir, qu'elle se réveillera toute seule, nous retournons dans la chambre. Maman est déjà sur le lit dans un sommeil qu'on imagine sans peine très profonde, la perfusion et encore sur sa main droite.

Quelques minutes après, elle bouge un peu la main que ma sœur tienne afin qu'elle garde sa perfusion en place. Peu après elle continue de bouger imperceptiblement, tout ça s'est bon signe.

J'essaie de voir sa jambe qu'on vient d'opérer mais elle est sous une bande de tissu aérée beige qui arrive très haut et qu'on a tourné plusieurs fois autour. Maman continue de bouger imperceptiblement, l'anesthésiste a remis à ma sœur pendant notre absence son dessous qu'on a retiré avant l'opération afin de ne pas gêner et d'être tâché car il y avait une veine reliée aux varices jusque sous l'aine droite que le chirurgien a sectionné.

A 16 heures elle dort toujours, on commence à se demander quand elle se réveillera, pour Hary elle s'est réveillée dans la demi-heure qui a suivi son retour dans la chambre. Bon je me dis qu'il ne faut pas trop comparer, Hary est jeune et maman aura bientôt 70 ans dans trois ans, la faculté de récupération n'est pas la même.

Vers 16h 30 je sors pour souffler un peu après tous ces angoisses, je rencontre le Dr Seheno avec laquelle je cause un peu à propos de cette opération. Elle me dit que c'est le jeune chirurgien italien en personne qui a procédé à l'opération et que beaucoup des médecins qui étaient là suivaient la démonstration qu'il accompagnait d'explication et que le Dr Roger traduisait en même temps. Tous sont venus en stage pour approfondir leurs acquis et aussi d'autres techniques chirurgicaux. A ma question elle a répondu que oui le Dr Mario y était effectivement accompagné d'autres venus d'Antananarivo. Je lui demande le nom de ce jeune médecin et elle dit quelque chose comme Vincente ou Vincenze.

A ma remarque sur la précocité de ce chirurgien, elle répond qu'en effet, il a étudié spécifiquement la branche de la chirurgie veineuse. Le problème vasculaire est donc une spécialité pour lui.

Je retourne peu après dans la chambre et lit un peu en attendant le réveil de maman, cette fois je suis plus concentré pour lire, lol ! C'est ainsi que j'apprends que la série des voitures TAJ de la province d'Antananarivo est déjà bien entamée, que les séries ne durent plus que 7 ou 8 mois, 9999 véhicules immatriculés en 8 mois ! D'après le journal il n'y a que 8% de voitures neuves dans tout ça et bon nombre sont des occasions de La Réunion ou de l'Europe, surtout des pays de l'est. Pas étonnant si Tanà est dans des embouteillages monstres avec ses 260.000 véhicules en circulation (pour 2 millions d'habitants) ! Il n'y a pas de métro pour désengorger ça et le tramway prévu n'est pas encore en place. Un autre article plus accrocheur a été le tourisme, 278.000 touristes en 2005, il y a une augmentation d'environ 12% Mais c'est encore très peu par rapport à Maurice ou la république Dominicaine qui flirtent avec le million de visiteurs.

Je repose mon journal pour voir notre malade, elle n'est toujours pas réveillée et il est déjà 17 h 30 mn.

Je me pose la question quand on passe le malade en salle de réveil et quand on le laisse se réveiller tout seul.

A 17h 40 le Dr Misa passe et dit à maman en lui tapotant un petit peu les joues pour voir si elle est consciente:

- Madame, est-ce que vous êtes réveillées ?

Maman bouge un peu dans son sommeil. Ca va dit le Docteur, je pense qu'elle ne va plus tarder à se réveiller. Cinq minutes plus tard le Dr Roger passe et le même manège se passe :

- Est-ce qu'on est déjà réveillée madame Line ? dit le docteur tout en lui tapotant les joues. Ma mère acquiesce un peu tout en dormant et gardant ses yeux fermés.

- Ca va, tout va bien, elle va bientôt se réveiller.

A 18 heures je descends au village prendre les effets prévu, je passe d'abord acheter 2 mètres de toiles PK chez Rafily, la toile est bien large. J'achète en même temps une plaquette de Nivaquine car j'ai un peu de fièvre, ce n'est surtout pas le moment d'avoir le palu. J'y revois le docker déjà un peu pompette qui vient me saluer avec la main et qui continue de me sourire en me demandant si je vais bien, je lui réponds poliment mais sans plus. Je pense qu'il a envie de me demander des cigarettes ou de l'argent mais qu'il n'ose pas. Ce n'est pas la première fois qu'il m'arrive des choses pareilles : un homme me sourit très chaleureusement tout en me saluant comme si on ne s'est pas revu depuis quelques temps, le temps de me demander où est-ce que je l'ai déjà vu, il me demande déjà quelques cigarettes ou un peu d'argent comme 1000 francs (7 centimes d'euro). Comme je ne fume pas je lui donne un billet de 1000 francs tout en continuant de me poser la question où est-ce que j'ai bien pu rencontrer ce mec auparavant. Lorsqu'il s'en va et après moult réflexions, je me rends bien compte que je ne l'ai jamais connu auparavant ! A la limite je l'ai déjà aperçu une ou deux fois dans la rue et c'est tout, d'où cette impression de déjà vu. Après deux ou trois coups comme ça on ne m'y prend plus, en fait c'est un moyen comme un autre pour ces chômeurs de se faire un peu d'argent, enfin il vaut mieux ça que de les voir faire le pickpocket ou des vols à la tire.

Mes emplettes finis après y avoir ajouté une bouteille d'eau pour ma sœur qui est resté là haut à l'hôpital, je rentre à l'hôtel. Là l'hôtelier me remet les affaires de ma sœur et son mari qu'ils n'ont pu les faire entrer dans la chambre car j'ai emporté la clé du cadenas. Je vide mon sac de voyage en toile camouflage puis y mets la toile P.K, deux couvertures et deux draps, la bouteille d'eau et des bougies puisque ce sera notre tour de les allumer aujourd'hui puis je reviens à l'hôpital.

A 18h50 il fait déjà nuit noire et maman dort toujours. Je décide de rentrer enfin car c'est ma sœur et son mari qui vont dormir à l'hôpital garder notre malade. Ils vont se relayer durant la nuit.

Je décide de rentrer, je croise dans la cour le père Jean-Claude, un ami de mon beau-frère. Il est venu avec sa grosse moto et d'après ses explications, les parents d'un enfant de 6 mois dans le service de pédiatrie vient de faire appel à un prêtre pour faire le baptême de leur enfant très malade. L'enfant est dans un état désespéré me dit-il. Il me propose de me ramener avec sa moto au village, ce que j'accepte volontiers. Je me mets derrière sa moto et sur le chemin nous croisons le Dr Roger que nous saluons, il nous répond tout en nous suivant du regard, une cigarette gauloise aux lèvres. Je pose une question au prêtre qui me dit qu'il vient juste de rentrer d'une tournée dans les villages alentours. Il a pris son poste ici depuis un an et il seconde ici le père Richard qui avait aussi auparavant un poste à Ihosy.

Le père Jean-Claude m'invite au bar de l'hôtel pour une bière mais je décline son invitation puis je le remercie de m'avoir ramené, je le laisse donc descendre sa bière tout seul et passe à côté passer la commande de mon repas. Après avoir mangé je demande comme toujours de l'eau à Zanà pour me laver les mains, les dents et les pieds, non sans avoir utiliser auparavant mon fil dentaire. Je suis un adepte du fil dentaire avant chaque brossage car j'ai bien remarqué que les brosses n'arrivent pas à tout désincruster. Après ma toilette je passe au bar dire un au revoir au père et rejoints ma chambre. Le jour de notre arrivée nous l'avons déjà aperçu au bar devant une bière, il passe donc le temps ici de temps en temps.

Arrivée dans la chambre je me prépare tout de suite à dormir, tout en me déshabillant je me pose la question quand est-ce que maman va enfin se réveiller de son profond sommeil.

(A suivre)

P.S: Désolé pour le très long retard de la suite à cause de la gaffe de la part de Telma.

15 September 2006

L'opération (suite 10)

La malade de gauche est en bonne voie de rémission, elle n'est plus celle qui était à prendre à la petite cuillère d'hier. Elle est encore sous perfusion mais la sonde a disparue ce matin et elle a meilleure mine bien qu'encore faible, ce qui rassure ma mère qui est algophobe sur les bords. D'ailleurs elle et sa copine qui la garde ce matin rassurent maman sur l'opération qui va venir.

Pour destressé un peu de cette attente, je sors un peu dans la cour et rencontre le jeune homme de l'université. Il est parti vers 6 heures dit-il car il voulait avoir son carnet parmi les tout premiers.

Après lui avoir parlé je déambule un peu du côté de l'entrée, là contrairement au plaque de marbre, le nom de l'hôpital est écrit correctement (voir photo). Curieusement sous le nom de l'hôpital on retrouve le logo d'Air Madagascar, le ravinala qui est la plante endémique du pays. Cette plante est indissociable à Madagascar comme le cèdre l'est au Liban ou encore l'érable qui est le symbole du Canada.

Peu après je reviens dans la chambre des malades et m'assois sur la chaise destinée aux gardes malades, chaque lit a une chaise pour cela. Je lis un journal mais la tête n'y est pas du tout, et puis ma sœur et son mari qui ne sont pas encore là alors que c'est le jour J. Je me dis qu'ils ne vont peut-être pas venir.

Je sors sur la galerie extérieur pour grignoter car j'ai faim, depuis ce matin je n'ai encore rien mangé, je vois près des arbres quelques corbeaux qui n'ont décidemment pas peur vu qu'il y a des gens à quelques mètres d'eux. Jamais je n'avais vu de corbeau d'aussi près et une région où il y en a autant qu'ici !

Peu après je rentre et je regarde la petite montre de chevet que j'ai mis sur la table du lit : 12h 15 déjà. Soudain à 12h20, alors que nous croyons tous que l'opération ne se fera que cette après-midi, voilà que l'anesthésiste ouvre la porte menant sur la galerie intérieure et entre en poussant une civière et dit à ma mère :

- On va maintenant vous emmener. Portez-vous une prothèse dentaire ?

- Oui.

- Veuillez l'enlever et la donner à votre fils.

- Monsieur veuillez sortir un instant, dit l'anesthésiste à mon intention tout en prenant une seringue plein de liquide incolore à la main.

- Je voudrais d'abord aller aux toilettes a dit ma mère.

Elle est angoissée sûrement et je la comprends. Soa, la copine de Hary qui est la malade du lit qui se trouve à gauche l'a déjà aidée à aller aux toilettes 2 heures plus tôt et cette fois-ci, la revoilà qui décroche du trépied la perfusion de maman, la tient dans sa main et voilà tous les deux qui prennent la direction du toilette. Pendant ce temps je sors comme me l'a demandé l'anesthésiste.

J'ai vu Soa pour la première fois hier soir, c'est une jolie fille un peu boulotte et souriante. Ce matin maman m'a dit qu'elle habite à Ihosy et qu'elle me connaît de vue alors que moi je ne la connaissais pas du tout. Il faut dire que nos quartiers sont éloignés d'environ 2km et que voilà plus de 10 ans que je n'ai pas mis les pieds dans le quartier du nord où elle habite. Sûrement qu'elle m'a aperçu au marché ou ailleurs.

Sorti dans la galerie, je me souviens de la peur de maman de l'anesthésie générale. Pourvu qu'elle n'a pas oublié de poser la question qui la titille à l'anesthésiste, me dis-je.

En effet, on lui a dit il y a des années qu'on ne doit pas anesthésier une personne asthmatique, or elle l'était il y a environ 15 ans et depuis elle n'a plus fait aucune crise. Je pense que ce qu'on lui a dit est faux mais bon, on ne sait jamais.

A sa sortie sur la civière je posais la question à l'anesthésiste.

- Elle m'a posée la question, me répond-t-il. Il n'y a rien à craindre, nous sommes plusieurs médecins à l'assister, tout ira bien.  

Je regarde de loin le chariot qui entre dans le bloc opératoire, les familles des malades doivent attendre dans la chambre des malades et ne peuvent rester dans le couloir devant le bloc, c'est la règle de l'hôpital.

2 minutes après, Hary dit qu'actuellement elle doit être dans un profond sommeil déjà. Lorsque Hary a été opérée de son fibrome, on lui a mis une blouse et une calotte verte. Pour maman l'anesthésiste lui a laissé son pyjama.  

Je suis angoissé mais en même temps je suis confiant de la capacité des médecins qui l'entourent, je sais qu'ils sont nombreux et Hary elle-même confirme qu'ils sont plusieurs dans le bloc. Elle parle de l'après opération. Lorsqu'elle est revenue dans la chambre dit-elle, elle était inconsciente et ne s'est réveillée qu'après une demi-heure environ selon Soa.

- Je me souviens juste d'une chose ronde où il y a plusieurs lumières vives, dit-elle. Après je ne me souviens plus de rien et n'ai rien senti du tout, on m'a dit que lorsque je suis revenu du bloc, on ma soulevée du civière et remis sur mon lit. Je ne me souviens que de mon réveil. Et bien pour ta mère ce sera la même chose, elle ne se souviendra de rien et ne sentira rien.

Cela m'a rassuré encore plus.

Je regarde par la fenêtre et je vois la voiture du docteur Mario garée près de la pharmacie. Je suis sûr que le docteur Mario est aussi au bloc. Le docteur Mario est un vrai coureur de jupon notoire et invétéré lorsqu'il était en poste à Ihosy avant d'être affecté ailleurs, ayant environ 48 ans ou 50, c'est un chirurgien mais est venu ici pour approfondir encore sa connaissance d'autres techniques chirurgicales, notamment la spécialité vasculaire en chirurgie. J'ai vu d'autres médecins avec lui qui doivent être aussi des chirurgiens déjà en poste et d'autres peut-être encore en stage.

Je regarde l'heure sur la table de chevet, il est déjà 13 heures et maman n'est pas encore sorti du bloc, pendant ce temps ma sœur qui n'arrive toujours pas. Je pense déjà aux affaires que je vais emmener ici ce soir pour dormir sur le couloir du lit comme font les autres gardes malades, il me faudra je pense 2 mètres de toiles PK à mettre sur le carrelage, puis une couverture par-dessus et une autre couverture et drap pour se couvrir en ce temps d'hiver. Règle de l'hôpital :

Les affaires des gardes malades ne doivent rester dans les chambres pendant la journée. Je me dis, aucun problème, j'ai déjà prévu de déballer mes affaires à l'hôtel pour libérer mon sac et emmener ces affaires prévus pour la nuit vers 18h et les ramener dans le même sac à l'hôtel dès 6h30 du matin. Je suis en train de penser à tout ça lorsque j'aperçois ma sœur et mon beau frère par la fenêtre, je suis tout content de les voir. Je regarde la montre, il est 13h 30mn.

Je commence un peu à angoisser, ça fait plus d'une heure et l'opération n'est toujours pas terminée, pour le fibrome de Hary les chirurgiens n'ont pas mis 1 heure.

Je  dis aux nouveaux arrivants que maman est déjà en bloc depuis 12h 22 et qu'il n'y a plus qu'à attendre.

13h55, cela fait plus d'une heure trente et toujours rien, ma sœur, mon beau frère et moi commençons à être un peu plus inquiet, surtout moi car depuis ce matin j'ai remarqué qu'aucun des précédents intervention n'a duré autant que ça.

(A suivre)   Photo aimablement fourni par le Dr Vincenzo MAROTTA.        

L'opération (suite 9)

Je tiens donc compagnie à ma mère plus longtemps que prévu jusqu'à 18h45. Il fait déjà nuit noire et l'électricité de l'hôpital est en marche depuis 17 heures. Les chambres ainsi que les galeries sont illuminées par des néons tandis que l'enceinte de l'hôpital ainsi que le mur d'enceinte le long de la longue l'allée du complexe de la famille de Marie sont illuminés par ces grosses boules transparentes renfermant des ampoules qu'on utilise souvent pour les jardins.

La longue allée bordée d'arbres est ainsi illuminée mais sans aucun passant du tout. Je me hâte pour rentrer car il fait froid, au bout de l'allée commence la nuit noire : là commence les premières maisons du village. Aucune lune dans le ciel, on devine tout de même à peu près le chemin car il y a une très faible clarté, la demi-lune ne doit plus être très loin. Je n'ai pas peur car même si les villageois dorment très tôt, ici ce n'est pas l'insécurité des villes : on a pas l'habitude à la campagne de dépouiller les passants, leur spécialité c'est plutôt le vol des zébus.

Je viens de quitter la lumière depuis 50m environ et de dépasser une broussaille près de laquelle se trouve une tombe lorsque soudain, je mets le pied droit dans quelque chose de mou et gluant.

J'ai tout de suite compris ce que c'était et lance instinctivement un juron:

- Et merdddddeeeee !

 Et c'est le cas de le lire puisque je suis littéralement dans la merde : je viens d'en écraser une. Je regarde autour de moi et je vois qu'il y a pas trop loin quelques cases en terres battues au toits de chaume. Ce doit être un gosse ou une femme de ces endroits qui, pris d'une envie subite de se soulager, a cru bon d'en faire une en plein chemin au lieu d'aller plus loin dans les broussailles ou les hautes herbes, par peur peut-être, à moins que ce ne soit purement pour piéger un piéton ;-(

Je sors ma minuscule lampe de poche que je n'ai pas voulu allumer pour ne pas être remarqué et éclaire ma chaussure que je frotte bien sur le bord du chemin dans l'herbe. Après que tout soit bien parti et qu'il ne reste plus rien, je remets ma chaussure et mets le cap sur l'hôtel.

Deux personnes qui étaient à l'hôpital sont déjà attablées dans la petite salle à manger. Sur la fenêtre est posée une radio qui diffuse les nouvelles de la radio AVEC d'Ihosy. J'écoute bien les annonces qui s'ensuivent pour savoir s'il n'y a pas une pour nous, étant donné que ce puissant station FM est le seul lien du village avec le monde « extérieur » :il n'y en a pas.

Je commande du poisson et je me mets à manger.

Un jeune homme un peu quelconque qui vient d'occuper une chambre à l'étage arrive et s'attable sur la même table que moi. Il passe sa commande et la serveuse Zana lui porte du poisson au sauce (presque tous le mets de ce petit resto sont aux sauces tomates, lol) alors qu'il a commandé du poulet.

- Non, ce n'est pas ma commande, dit le jeune homme fermement, je veux du poulet.

Zana s'excuse qu'il devra attendre car le poulet n'est pas encore au point.

- J'attendrai !

Pendant son attente, je lui pose une question qui me titille, presque tous les gens qui viennent ici le font pour l'hôpital, le jeune homme semble être en bonne santé, alors je lui demande s'il est venu dans ce village pour consulter ou non. Il me dit qu'il a des problèmes pectoraux mais qu'après plusieurs analyses, échographie et radio à Fianarantsoa (le jeune homme est étudiant à Andrainjato), les médecins n'arrivent pas à trouver sa maladie. Il a entendu parler de cet hôpital et il est venu.

Je continue de manger tandis que le chat du propriétaire quémande sous la table, ce chat est souvent sous notre table depuis notre arrivée. C'est fou ce qu'il y a des chats dans ce village ! Il y a deux ans lors de mon premier passage dans ce bourg, j'avais pas moins de 8 chats qui me griffaient sous la table pour avoir quelque chose, et ce n'était pas dans cet hôtel. Certains montent même sur les tables après le départ des clients.

A Madagascar les chats on droit à presque tout, entrer dans la maison bien sûr mais aussi monter sur la table, dormir sur le lit, caressé par son maître tandis que les chiens sont rares à avoir droit à entrer dans une pièce ou avoir un câlin de son maître : Une injustice.

J'allais partir et payer lorsque le mec me demande si demain matin il pourrait venir avec moi pour trouver l'hôpital.

- Pas de problème, lui dis-je. Rendez-vous devant la porte du resto demain matin à 6h 15.

Je paie l'addition ainsi que la chambre de la nuit que je paie d'avance depuis notre arrivée et rejoints ma chambre. Je me dis que si demain matin ma sœur et son mari ne viendront pas, je vais rendre mon matelas avec son foin mal reparti qui fait des bosses, je dors très mal avec, comme ça je dormirais sur le grand lit inoccupé et en plus ça me fera 1000 ariary de moins (0,37 €) pour la location de ce matelas.

Avant de dormir je me mets devant la petite table nue que j'ai mis à notre arrivée devant la porte de communication avec le bar qui se trouve au milieu afin de couper toute circulation possible entre le bar et notre chambre lorsqu'on est pas là, on sort ensuite pour sortir par la porte de devant qu'on ferme avec notre propre cadenas.

J'approche le cageot de bière qui fait office de chaise et j'ajoute une autre bougie allumée sur la table, j'écris la dépense du jour avant de lire un peu le journal car il est encore trop tôt.

Dans la rue tout est déjà calme, le seul bruit assez sonore vient de la salle de projection vidéo qui est l'une des seules distractions ici, sinon le seul à part pêcher les poissons peut-être.

Je fais mon lit vers 19h45, règle l'heure de réveil sur mon portable (je me dis, tiens, la batterie est déjà faible), éteint les bougies avec le fer qui supporte le mosquito afin d'éviter l'odeur particulière de graisse brûlée qu'ont inévitablement les bougies lorsqu'on les soufflent et m'endors d'un coup.

Vendredi 28 Juillet 2006 :

De matin de bonne heure je me lève pour aller au petit coin puis me lave car j'ai hâte d'aller à l'hôpital. A 6h15 je regarde devant le resto si le mec d'en haut y est, il n'est pas là. Tant mieux, ça me donnera un peu plus de temps pour me préparer. Vers 6h30 le sosoa (du riz qu'on cuit avec beaucoup d'eau pour obtenir du riz très tendre es crémeux, presque du bouillie)  de l'hôtel n'est pas encore prêt. Tant pis, j'ai hâte d'aller à l'hôpital, je passe à la boutique chez Rafily qui ouvre très tôt pour acheter un coca 50cl, 3 portions de fromage et du pâté de poule, un biscuit salé. Je mangerai ça sur la galerie extérieur une fois sur place.

Sur la route de l'hôpital, je croise quelques corbeaux sur le bord du chemin ainsi que jusque dans la cour des familles de Marie, l'enceinte de brique étant trouée en damiers. Décidemment ce village est la patrie des corbeaux, lol ! Depuis notre arrivée nous n'avons pas rencontré d'autres oiseaux.

J'entre dans la chambre est je vois maman déjà réveillée mais la main droite sous perfusion. Je règle la perfusion qui s'est très mal écoulée, à peine 20 ml depuis hier soir. L'infirmière l'a mal réglée ou alors elle s'est bien écoulée au début puis s'est coincée presque totalement.

L'opération est prévue ce matin, dès 8 heures le puissant groupe électrogène de l'hôpital est déjà en fonction, bon groupe d'ailleurs, il est quasi-silencieux. Un premier patient entre en bloc, maman et moi nous ne sommes pas concentré à une quelconque lecture, se demandant si ma sœur va arriver et surtout si ce sera bientôt le tour de maman d'entrer en bloc.

Vers neuf heures, une infirmière entre et change les sérums des malades, seul celui de maman est quasi intact mais elle l'a changé quand même. Je suis un peu étonné de constater que les solutions ne se ressemblent pas : celui d'avant était une solution glucosée tandis que celui-ci est à base de sodium donc salé sûrement.

Vers 9 heures 15mn il y a un autre patient qui entre en bloc, ensuite un autre qui est le troisième. Vers 11 heures nous pensons que la troisième opération doit être bientôt finie et voilà que l'ambulance de la ville d'Ihosy vient d'arriver dans la cour avec une patiente qui doit être opérée en césarienne ici car le chirurgien en poste à Ihosy n'est pas en ville, direction donc Sakalalina. C'est une urgence. On se dit maman et moi vers 12h que son tour ne sera que cet après-midi peut-être.

(A suivre)

L'opération (suite 8)

Le docteur Misa vient vers nous :

- Une infirmière va bientôt vous montrer votre chambre, vous serez logée dans la première chambre de l'aile ouest.

Avant de rentrer, j'attends qu'une infirmière nous guide à sa chambre afin de voir un peu à quoi ça ressemble. Durant l'attente, je vois une fille avec une natte tressée lui arrivant presque au bas du dos passer dans la cour extérieure avec sa copine. La fille en question est en jean orange marron très moulant avec une écriture noire assez grande un peu stylisée genre gothique et très voyante juste à l'endroit de ses grosses fesses : Von Dutch. Cela m'arrache un sourire. Je ne sais pas ce que veut dire Von Dutch, mais cela fait déjà quelques temps que je vois ce nom en ville à Ihosy sur des tee-shirts, casquettes, enfin presque sur tous les genres de fringues. Je me dis que ça doit être une marque de fringue connue ou de moto ou quelque chose dans ce genre.

Au bout de cinq minutes, une infirmière nous mène le long du couloir intérieur. L'hôpital est en forme de U est à l'extérieur comme à l'intérieur de ce U, il y a une cour. La cour extérieure est vaste est un peu quelconque tandis que la cour intérieure est un très joli jardin au milieu de laquelle est planté un cocotier autour de laquelle sont plantés plusieurs sortes de fleurs en plates bandes bordés de briques.

On se croirait dans une cloître ou un abbaye avec le calme de cet hôpital mais surtout sa forme qui renforce cette impression. La véranda intérieure (galerie serait le mot plus juste) tout le long du bâtiment en U et qui borde ce jardin fleuri sert surtout de couloir pour le personnel de l'hôpital tandis que la véranda extérieure est réservée aux malades. Nous marchons donc à la suite de l'infirmière le long de cette galerie, on peut facilement imaginer croiser un moine dans cette « cloître », lol !

Bientôt nous arrivons devant une porte au-dessus de laquelle est inscrite dans un petit cadre en verre : médicine F. Je me disais in petto, tiens ! Ils ont écrits médicine et non médecine. Je croyais que F voulait dire que c'est la chambre après le E, il n'en est rien car au-dessus de la chambre à côté est inscrite médicine H. F et H voulait donc dire femme et homme.

Effectivement lorsque j'accompagne maman dans sa chambre il y a déjà deux patientes sur 2 des trois lits de la chambre. Le lit du milieu est vide et deux femmes de chambres est en train de faire le lit. La chambre est carrelée et propre, il en est de même pour le mur et les rideaux. Une odeur d'eau de javel plane un peu dans la pièce, on a dû laver les carreaux il n'y a pas longtemps encore car le sol est encore un peu humide. Une lampe tube est fixée au plafond et près de chacun des trois lits se trouve des tables de chevets en bois de sapin vernis sur lesquels trônent des bougeoirs. Les lits sont individuels et tous ont de draps et de couvertures identiques. Le lit du milieu a été fait à la façon des chambres d'hôtels par les deux femmes. On se serait cru dans une clinique privée de la capitale et non au fond fin de la brousse !

Notre guide nous explique un peu le règle de la maison, l'électricité est coupée à 21 heures tous les jours, chaque lit a un bougeoir et les malades doivent avoir des bougies qu'ils vont utiliser à tour de rôle. Par exemple si le premier lit utilise ses bougies à l'extinction du courant aujourd'hui, demain se sera au tour du lit numéro 2, après ce sera le tour du lit n°3. Une pièce attenante à cette chambre sert pour les toilettes, il y a une douche avec pommeau et lavabo avec robinet ainsi qu'une cuvette turque avec chasse d'eau. Je remarque que l'endroit est propre aussi, en revanche il n'y a aucun miroir.

- L'eau est courante 24h/24h mais il n'y a pas d'eau chaude.

Après ses explications l'infirmière est partie, Maman et moi saluons les occupants du lieu, en l'occurrence les deux malades et leurs gardes. La malade de gauche est vraiment mal en point, elle vient de se faire opérer ce matin. Une sonde qui vient de sous ses draps mène à une poche transparente plastique sous son lit, on dirait de l'urine mêlé à du sang. A demi inconsciente, elle se plaint et à la voir elle est vraiment dans un piteux état, je me disais qu'elle aura de la chance si elle passe cette nuit. De la voir ainsi maman et moi ça ne nous rassure guère ;-(

La malade de droite est une jeune fille gardée par sa maman qui est une vieille dame, elle a du avoir sa fille bien tard car il y a trop d'années entre la mère est la fille.

La jeune fille a la lèvre inférieure très épaisse, une vraie boursouflure.

Nous mettons notre programme au point, je ne vais pas encore la garder ce soir mais dès demain matin de bonne heure, je serais ici pour presque 24h/24h, elle est prévue d'entrer en bloc dans la matinée. Je descends donc au village pour acheter une allumette car je vais garder à l'hôtel ce soir le briquet pour ma chambre, pas besoin d'acheter des bougies car nous en avons déjà emmené un paquet lors de notre départ qui était bien le mercredi 26 Juillet et non le 28 juillet comme je l'ai écris par erreur précédemment comme l'atteste la date de mon ticket de caisse à la pharmacie le jour de notre arrivée). J'achète aussi des piles R6 chez Rafily pour ma petite lampe de poche car je vais laisser la grande lampe plus puissante pour elle à l'hôpital. Décidemment chez Rafily tout est moins cher qu'en ville, la petite pile de R6 qui s'achète à 150 ariary (0,05 €) en ville coûte seulement 100 ariary (0,04 €) chez lui ! Dans la boutique, un homme qui doit être un docker me salue d'une manière un peu trop familièrement, comme si je le connaissais, je lui réponds distraitement, la tête préoccupée par l'opération.

Après mon achat je rentre à l'hôtel pour préparer dans un petit sac quelques affaires de maman, son pyjama, sa brosse à dents, quelques dessous et vêtements, deux romans photos et deux journaux pour passer le temps, sans oublier la grande lampe de poche et l'allumette. J'aurais bien aimé lui acheter une bouteille d'eau mais c'est interdit par le médecin, va savoir pourquoi une personne qui va être opérée le lendemain n'a pas le droit de manger ni de boire de l'eau, ce n'est pas l'abdomen qu'on va lui opérer, c'est la jambe !

Il doit être déjà 17h lorsque je retourne à l'hôpital. J'entre par la porte qui donne sur la galerie extérieure et je l'aide à installer ses affaires dans le petit tiroir et placard de la table de chevet. Je lui tiendrais compagnie jusqu'à environ 18h30. On parle pendant ce temps, on se pose la question si ma sœur et mon beau-frère va venir ou pas. Hier jeudi nous avons donné une lettre à une dame qu'on a rencontré et qui rentre sur Ihosy après avoir fini ce qu'elle a fait ici à l'hôpital, nous lui avons donné une lettre à leur remettre. Dans la lettre nous leur disions de venir s'ils peuvent se libérer. En effet avant notre départ, ma sœur avait une rage de dents qu'elle a dû ôter chez le dentiste et qui lui faisait encore mal, mais elle et son mari a émis le souhait de venir sur place pour l'opération. D'un autre part le Dr Roger a dit lors de l'entretien de mercredi que maman pourra sortir samedi. La lettre disait donc qu'ils peuvent venir s'ils veulent toujours mais que s'ils ne peuvent se libérer ou si elle a encore mal, c'est pas grave dans la mesure où maman ne restera qu'une journée à l'hôpital.

Après réflexion et quelques discussions avec les autres gardes malades, il est évident qu'elle ne sera pas libérée samedi car elle va sûrement encore être gardée en observation. La plupart des gens opérés dans cet hôpital sont gardés deux ou trois jours.

On se pose alors la question s'ils vont venir ou pas. C'est mieux en effet d'avoir une garde malade de sexe féminin si le malade en question est une femme, comme c'est dans le cas présent. Ne serais-ce que d'aider la malade à aller aux toilettes par exemple.

Une jeune femme arrive en renfort pour la malade du lit de gauche, elle et une dame plus âgée se relaieront pour garder leur malade durant la nuit.

Dès ce soir, une infirmière va venir pour poser le sérum de maman.

(A suivre)

L'opération (suite 7)

Après une demi-heure, ces chers médecins se font toujours désirer. Maman et moi se sont un peu déplacés des bancs pour s'asseoir sur un petit muret délimitant la véranda sur le côté sud qui fait un angle de 90° avec les bancs.

Maman me dit me dit :

- Moi qui pensais que les médecins ne m'opéreront pas tout de suite, c'est toi qui avais raison.

Ma mère pensait effectivement que notre voyage-ci était juste pour quelques questions ou test, le temps de fixer une date aussi pour l'opération après quelques jours ou semaine. Moi je lui disais que ce serait mieux si les médecins trouvent un créneau dans leur agenda pour l'opération maintenant, comme ça on ne fera pas des vas-et-vients entre Ihosy et la campagne. Je n'ai rien contre la campagne, au contraire, c'est bien pour se ressourcer, trouver un calme après un stress ou se reposer un peu des bruits de la ville, mais à condition d'y trouver le confort nécessaire côté installation, ce qui n'est pas le cas ici : le petit coin se trouve à 200m en pleine nature (comment sortir pour soulager un besoin urgent en pleine nuit ?), l'eau insuffisante est un problème. Pour moi la campagne c'est bien, juste pour quelques jours, après je me morfonds ;-) Je pense que je ne me ferais pas à la vie dans un bled perdu.

Perdu, ce bourg l'est un peu, aucun service postal, ici il n'y a pas le téléphone. J'ai bien amené mon portable qui me sert de montre, de réveil mais aussi de calculatrice. Je n'ai pas de chance avec les montres aux poignets, j'en abîme une après quelques mois ou un an maximum. On a plus de réseau à 12km de ce village. Il n'y a pas aussi l'électricité, il y a bien quelques maisons éclairées mais avec des groupes électrogènes. La télévision est captée ici mais avec une de ces difficultés ! Imaginez, il faut une perche extérieur d'au moins 4 mètres de haut pour fixer les antennes. Chaque maison qui en possède a ces horribles excroissances vers le ciel. Je me demande s'ils sont conscients du danger en saison de pluie avec le danger de la foudre. La plupart de ces télés marchent à la batterie. Seul contact avec « l'extérieur » c'est la radio, la puissante radio AVEC (audiovisuel d'expression chrétienne) qui se trouve à Ihosy est captée jusqu'ici à condition d'avoir une plus grande radio avec une longue antenne. Nous avons emmené une radio de poche mais qui n'arrive à rien capter ! La radio AVEC d'Ihosy est la plus écoutée de toute la région du Horombe car le seul à être capté jusqu'à 140km, les gens qui veulent envoyer des messages à quelqu'un qui se trouve dans ce village le font en faisant passer leurs annonces à la radio, moyennant finance bien sûr.

Un des seuls points positifs en matière de désenclavement de ce village est la présence d'une petite poste de la gendarmerie.

Mais revenons à notre attente à l'hôpital, assis sur le muret, maman lit une grosse plaque en marbre noir sur le mur. La plaque rappelle l'inauguration officiel de l'hôpital lors d'une grande extension importante en 1987. Lorsque j'ai lu cette plaque je n'ai rien remarqué, mais maman a bien vu qu'il y a une faute d'orthographe sur cette plaque : le nom de cet hôpital est inscrit « SOAVIMBAOHAKA » au lieu du vrai orthographe « SOAVIMBAHOAKA » qui veut dire « béni par le peuple ». Le H et le O se sont intervertis ! Les gens de l'hôpital ont bien dû remarquer cette erreur mais avec le prix du marbre noir, surtout de cette taille, doit valoir une fortune même si Madagascar produit du marbre grâce à sa carrière d'Ambatofinandrahana, alors on a laissé ainsi cette faute qui ne pouvait être corrigée car l'écriture est taillée dans le marbre, lol !

Finalement ce n'est qu'à 16h comme toujours que les médecins sont arrivés, je me demande dans ce cas pourquoi dire aux patients d'aller prendre les résultats à 15h.

Les appels commencent avec les carnets qu'on a alignés à la grille et chaque patient rentre à l'appel de leurs noms. Lorsque mon nom fut prononcé porte numéro deux (chaque patient attend l'énoncé de son nom devant la porte du médecin qui lui a dit de faire tel ou tel analyse), j'entra. Le Dr Seheno a dans ses mains mon carnet mais aussi les feuilles sur lesquelles les laborantins ont inscrits les résultats de mon analyse.

- Votre analyse de selles ne donne rien, aucun parasite. En revanche votre taux de calcium est assez bas, 8,3 mg / dl c'est insuffisant. Décidemment vous avez toujours des problèmes avec le calcium, j'ai remarqué votre carnet dans les pages précédentes et vous en avez eu pas mal. Je vais vous prescrire du Magné B6 en dix sachets, une par jour à prendre dans un verre d'eau. Vous arrêtez 10 jours puis vous prenez ensuite du Cipcal M en 1 comprimé par jour. Vous n'avez pas besoin de prendre de fixateur puisque ce médicament est déjà combiné avec le vit D 3 ainsi que quelques oligo-éléments. Pour votre oreille je vais rajouter du Tanakan comprimés que vous devez prendre une fois par jour lorsque les comprimés de Vastarel et B complexe sont finis, vous finirez la boîte. Ce médicament n'existe pas chez nous car elle est bien cher, achetez ça en ville aussi. Il se pourrait bien que des spécialistes en ORL arrivent ici en Novembre, je vous ferais alors passer le message par le biais de Fara.

Lorsque je sors, Maman est toujours chez le docteur de la porte 5 qui sort puis revient, vient ensuite le jeune docteur italien ainsi qu'un autre docteur vazaha d'environ 55 ans avec la boule à zéro qui y entrent à leur tour. C'est le docteur Daniel commente un malade à son passage, il est déjà ici depuis plusieurs années. Les docteurs ainsi que maman sortent.

- Alors ? Questionnais-je.

- Ils sont partis voir s'il y a des instruments de taille idéale pour l'ablation de mes varices, ils m'ont dit d'attendre. Le jeune vazaha a tracé mes veines malades au stylo feutre. Dr Misa m'a dit si j'ai pas un peu trop souvent soif et si je fais souvent pipi.

- Peut-être que ton analyse a révélé que tu es un peu diabétique, lui disais-je.

Quelques 5 minutes après, le Dr Misa accompagné des 2 autres italiens sont rentrés de nouveau porte n°5 avec maman.

Dix minutes après elle ressorte.

- Et alors ?

- Ils m'ont dit qu'ils vont me garder dès maintenant, je ne pourrais plus ni boire ni manger ni rentrer prendre quelques affaires à l'hôtel, ils m'ont dit si quelqu'un m'a accompagné de les prendre pour moi. Dès ce soir on me fera une perfusion. On m'opérera demain matin vendredi.

Je suis un peu atterré, ça va un peu trop vite.

- Va donc rentrer et emmène-moi quelques effets sans oublier ma brosse à dents.

(A suivre)