02 December 2006

L'opération (suite 16)

Face à cette alerte je me dis : Pourvu que René soit déjà arrivé à l’hôpital ». Je demande un seau d’eau à Zana pour me laver avant d’aller rejoindre ma chambre. La bonne s’empresse de donner l’eau voulu car elle veut vite rentrer chez elle en entendant cette alerte.

Lundi 31 Juillet 2006 :

Au réveil, je me dis qu’aujourd’hui c’est le grand jour de la rentrée à la maison. René arrive peu après et je lui demande s’il a entendu l’alerte de la veille.

- Oui, me dit-il, j’étais à 100 mètres de la grille lorsque j’ai vu quelque chose bouger dans un fourré sombre qui descend vers la vallée, j’ai bien regardé malgré la lumière qui faisait défaut à cet endroit et j’ai vu l’ombre de trois ou 4 personnes qui s’enfonçaient dans la nuit, et cela quelques minutes après avoir entendu les coups de sifflets. Je me suis alors hâté de rejoindre la grille.

Nous commandons 4 plats de sosoa et après avoir pris la nôtre nous en emportons deux à l’hôpital. Il est 7 heures et tout le village est déjà levé depuis plus d’une heure.

Arrivé à l’hôpital, nous constatons que maman vient juste de se réveiller et ma sœur de sortir de la douche. On commente dans la chambre l’alerte de la veille, peu après on se pose la question si on va effectivement sortir dans la matinée ou l’après-midi. Vers 9 heures maman me demande d’aller acheter une bouteille d’eau au village. La garde malade de Hary en profite pour me demander d’acheter pour elle aussi des menakely (beignets) en me donnant 200 ariary.

Je redescends donc au village accompagné de René qui n’a pas trop envie de rester dans la chambre et nous achetons une bouteille d’eau ainsi que du Fanta et du chocolat. Maman a un péché mignon pour les chocolats. On achète aussi les beignets pour la dame qui garde Hary et qui doit être sa tante.

Au village on clôture avec des vastes toiles PK la grande place du village pour le spectacle de Rasoa Kininike l’après midi. L’organisateur du spectacle a opté pour la place du village car la grande cour de la famille de Marie qu’ils ont lorgnés coûte trop cher en terme de location : deux millions cinq cent mille francs soit 500.000 ariary (183 euros). Au marché c’est aussi l’effervescence car c’est jour du grand marché hebdomadaire.

De retour à l’hôpital une mauvaise nouvelle tombe : Un autre patient vient de décéder. Encore ! C’est le troisième décès en l’espace de quelques jours. Cette fois-ci c’est un patient qui est à la fois cardiaque et asthmatique. Les deux dames qui sont les filles du patient n’ont guère appréciées que leur belle-mère soit au chevet de leur père et le lui ont fait savoir en aparté, qu’elle doit quitter leur père et ne plus revenir. Pour ne pas alerter son époux, la belle-mère en question a dit à son mari qu’elle doit absolument retourner dans leur village voir leur bétails et si tout va bien là-bas. Le mari ne doit pas être dupe de l’agissement de ses filles qui viennent tout juste d’arriver mais aussi du changement d’attitude de son épouse car il a été très peiné et a pleuré selon les autres gardes-malades dans sa chambre. Peu de temps après il a fait une crise qui l’a conduit à une mort soudaine. Peut-être a-t-il fait un AVC ? C’est très probable.

Nous sommes plus que jamais impatients de rentrer, d’autant que l’atmosphère à l’hôpital devient glauque avec ces morts qui s’ensuivent à un rythme effrayant. J’en arrive même à détester ces corbeaux qui rodent autour de l’hôpital, oiseau de mauvaise augure par excellence ;-(

Nous pensons tout de même que ces morts successifs ne sont pas la faute de l’hôpital ni des personnels soignants, c’est plutôt la faute des patients qui ne viennent se soigner ici qu’à un stade avancé de leur maladie, persuadés qu’après avoir tout essayé ailleurs, cet hôpital renommé ferait un miracle.

Peu après maman nous demande de porter le fisaorana au Docteur Roger sans qui le chirurgien vasculaire qui est son ami ne serait pas venu ici. Nous partons René et moi vers son bureau avec 30.000 ariary dans l’enveloppe, nous allons profiter de lui demander quand maman pourra sortir car en tant que médecin chef il doit bien le savoir.

Arrivés à son bureau, c’est le petit discours d’usage puis, peu avant notre sortie, il nous dit que la sortie de maman se fera peu après la visite des médecins dans les chambres l’après-midi.

Nous retournons tout de suite à la chambre pour mettre au courant ma mère et ma sœur afin qu’elles se préparent petit à petit pour ne pas être prise de court le moment venu. Dans la chambre on commence à tourner comme des lions en cage d’autant plus qu’il n’y a plus de passe temps possible, les livres et journaux ont tous déjà été lus et même relus depuis samedi après-midi. Ma sœur, son mari et moi sortons sur la galerie pour prendre un peu de soleil, à peine sommes assis que des hommes passent avec un corps emballé entièrement dans un lamba (linge de la taille d’un drap avec lequel les autochtones ont l’habitude de s’envelopper et dont ils ne se séparent que pour travailler) en petits carreaux violets et blancs dans les bras. C’est sûrement l’homme décédé aujourd’hui, près de la grille un peugeot 404 attend le corps.

Je laisse ma sœur et mon beau-frère à leur bain de soleil et je déambule de la galerie extérieure à la galerie intérieure pour me changer un peu les idées, j’arrive presque devant la chambre des tuberculeux lorsque je vois un homme très décharné en sortir, l’air de rien je presse un peu plus mon pas en passant devant en retenant ma respiration, ma sœur qui m’aperçois 20 m devant en rit, elle sait pertinemment pourquoi je passe vite comme ça, un peu comme si j’avais le diable à mes trousses. Ma sœur sait très bien que je suis un peu hypocondriaque sur les bords.

Il est un peu plus de midi lorsque nous descendons Réné et moi au village pour les commandes du déjeuner.

(A suivre)

 

 

24 October 2006

L'operation (suite 15)

Nous prenons ensuite le chemin de l’hôtel et tandis que la dame de l’hôtel et Zana préparent les commandes du déjeuner pour maman et ma sœur Cécile, moi et René nous en profitons pour manger vite fait. Je bois à volonté du ranovola (littéralement « eau d’argent », une eau qu’on obtient en brûlant la croûte du riz qu’on vient de cuire, dès que la croûte est assez brûlée mais pas trop, on y ajoute de l’eau et on obtient ainsi de l’eau qui a la couleur du thé) en guise d’eau de table. Après avoir payé les 6.000 ariary (2,20 €) des 4 plats commandés, nous retournons ensuite à l’hôpital avec dans la main le panier contenant les déjeuners de maman et de ma sœur.

Après le déjeuner de ces dernières, Cécile et René décide de descendre au village pour acheter quelques broutilles, ils en profitent aussi pour prendre une sieste à l’hôtel car à l’hôpital il n’y a pas moyen d’en faire dans la journée et la nuit on veille la plupart du temps sur les malades. Je leur donne donc la clé de la chambre et je m’assois au pied du lit pour relire les journaux, dans ce village de 2000 habitants il n’y a aucune boutique qui vend quelque chose de lisible : ni journaux ni livres. Même à Ihosy (30.000 habitants) il est difficile de trouver des bons livres, surtout si vous cherchez une œuvre en particulier, dans ce dernier cas il faut aller à la capitale pour être sûr à 70% de trouver ce que vous cherchez. C’est ainsi qu’il m’a fallu plusieurs voyages à la capitale pour trouver enfin « Le pont de la rivière Kwaï » de Pierre Boule et « Les fleurs du mal » de Baudelaire, et encore, je les ai trouvé dans les livres d’occasion, les fameuses kiosques d’Ambohijatovo, l’équivalent des kiosques au bord de la Seine, lol !

Mais bon, à vrai dire la comparaison s’arrête là puisque les rares bons livres d’Ambohijatovo sont vite loués ou achetés par des particuliers qui les retiennent et que finalement la plupart du temps on n’y trouve que des bouquins sans grand intérêt.

Maman profite de la digestion pour faire aussi de la sieste.

Après trois heures passés au pied du lit, n’ayant plus rien à lire je commence à m’ennuyer ferme, heureusement que Migy met peu de temps après la radio en marche.

Ma sœur et sont mari reviennent vers 15h30 et vers 16h je descends au village pour acheter du jus d’orange pour maman. René descend avec moi car on va aussi passer chez Jean-Claude son ami prêtre car ce dernier a un téléphone portable de même marque que la mienne et on voulait emprunter son chargeur, histoire de charger mon téléphone sur la prise de l’hôpital, à l’insu du personnel hospitalier bien entendu. Lorsque Jean Claude veut téléphoner en ville, il prend sa moto et s’éloigne de 12km du village pour trouver enfin un réseau.

Pas de bol, il a cette fois laissé son téléphone et son chargeur en ville.

En passant devant notre hôtel pour aller à la boutique de Rafily, nous voyons un attroupement et deux ou trois voitures pas loin. On se demande se qui se passe et on pose la question à un badaud, il s’avère que c’est Rasoa Kininike et son groupe qui viennent d’arriver et qui déjeune avec du retard à notre hôtel.

Eh bien, me dis-je, il va y avoir de l’ambiance demain, surtout que Lundi c’est jour de marché pour Sakalalina et tous les villages aux alentours viennent. Le petit hic c’est au niveau du prix du billet :2.500 ariary (0,92 €) au lieu de 2 .000 ariary (0,73 €) comme en ville, mais bon, ici c’est un coin plus reculé et la route est mauvaise avant d’y arriver.

Après notre petite course, nous reprenons le chemin de l’hôpital, 100 mètres avant d’arriver devant le petit terrain de foot (tout pelé et sableux par endroits), nous voyons le jeune chirurgien italien qui regarde le match des jeunes du village. Il est toujours en tricot noir et jean, à moins qu’il en ait plusieurs. J’en fais la remarque à mon beau-frère qui dit :

- Voyons voir et si la poche derrière de son jean a toujours un trou, c’est toujours le même pantalon.

- Tiens ! Tu as remarqué aussi ?

Arrivé devant les footeux, nous saluons le vazaha qui nous rend notre salut. Nous regardons discrètement son derrière : le trou de la poche arrière est bien là avec à l’intérieur une portefeuille en cuir.

- C’est le même ! Dis René tout bas après avoir fait 3 mètres et nous éclatons de rire discrètement.

Aux environs de 17 heures, les médecins sont une visite et ils confirment notre sortie pour le lendemain. Ils demandent à maman de quitter le lit et de faire des marches lentes accompagnées dans les galeries. La marche sera très bien pour vous disent-ils.

Maman se lève dont et s’appuie sur ma sœur qui l’accompagne pour ces marches.

Vers 17h 30 les infirmières font leurs rondes pour les injections.

Vers 18h, nous redescendons au village, en passant devant l’école du centre d’éducation de base, nous voyons les voitures et toute la troupe de Rasoa Kininike qui y a élu domicile. C’est les vacances et l’école est déserte, en plus c’est sûrement plus économique que d’élire domicile à l’hôtel qui ne peut en plus les loger tous.

Je laisse René devant une bouteille de THB au bar et je repasse acheter une bouteille d’eau et un rouleau de papier toilette chez Rafily. J’y rencontre pour la énième fois le docker, cette fois-ci il est tout pompette, tout sourire et il me fait carrément les yeux doux ! Enervé par cet ivrogne, mes achats dans les mains, je tourne les talons pour m’en aller lorsque je m’arrête net on voyant un jeune homme qui me regarde fixement l’air amusé. En fait il semble avoir été bien amusé par le manège du docker. Cette fois-ci je suis sûr d’avoir déjà vu le mec mais où ?

Une seconde après la mémoire me revient :

- Ah A….. ? (Je tairais son nom au cas où lui ou son copain tomberait par hasard sur mon blog ;-) Mais qu’est-ce que tu fais dans ce bled ?

A….. est un célèbre animateur radio à Ihosy et il travaille pour une station concurrente de la radio AVEC. Marié et père de famille, le gugus sort pourtant avec l’un des plus beaux partis de la ville, le fils d’une richissime famille, deuxième fortune de la ville.

- Eh bien je suis venu ici car je suis avec…. (son copain) l’organisateur du spectacle de Rasoa Kininike. Je suis venu avec la sonorisation dont je vais m’occuper.

- Et pourquoi…. n’est-il pas venu ?

- Il est très occupé mais j’espère qu’il va pouvoir venir demain avant le spectacle.

Je quitte rapidement A..... après une brève discussion et retourne à l’hôtel. A 18h 15 il fait déjà sombre, c’est l’hiver qui veut ça.

Nous avons fini de dîner à 19h, on dîne toujours très tôt à la campagne et René retourne tout de suite après à l’hôpital avec dans la main les victuailles pour les deux femmes. A peine est-il parti 15 minutes que des coups de sifflets stridents envahissent le village alors que la lune vient depuis peu d’apparaître. Une alerte qui signifie qu’une attaque a lieu au village ou dans les environs immédiats.

(A suivre)

 

18 October 2006

L'opération (suite 14)

Les gardes malades dans les chambres commentent ces décès qui deviennent un peu successifs. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de sujets de conversations. Les deux convalescentes ainsi que maman qui se trouvent dans la même chambre commencent sérieusement à avoir des envies de rentrer plus vite à la maison.

Je redescends au village vers 7 heures avec René remporter les affaires de la nuit et aussi prendre la commande du petit déjeuner de maman et de ma sœur. Elles viennent de choisir encore du sosoa au kitoza au détriment du vary amin’anana (littéralement « riz aux légumes »), l’autre plat traditionnel en matière de petit-déjeuner.

Nous repassons chez Rafily avant d’aller à l’hôpital pour acheter du papier toilette softy, du Fanta citrus et 2 jus d’orange en brick.

Vers 9 heures les infirmières passent dans les chambres comme toujours faire leurs injections quotidiennes d’antibiotiques, de vitamines ou autres selon les patients.

Les autres gardes malades et nous discutons des prix défiant toute concurrence pratiqués chez Rafily. En fait, il s’avère selon les gardes malades du lit à gauche de maman, que Rafily se fournit directement à la capitale et en plus il prend une très mince marge bénéficiaire afin de « tuer » tous les autres concurrents. Et cela semble marcher car les autres commerçants du village vivotent alors que chez lui ça ne désemplit pas. Il en est de même pour la ligne des taxis-brousse qui relie Ihosy à Sakalalina, il y avait un temps ou d’autres voitures se sont mis à faire la même ligne, Rafily a alors baissé très bas jusqu’à perte (incroyable mais vrai !) le prix du ticket de ses voitures. Devant une telle concurrence déloyale et ne pouvant pas baisser au même prix le prix de ses billets, ses concurrents ont du mal à trouver des voyageurs et finalement, abandonnent cette ligne. Dès qu’il n’y a plus de concurrent, Rafily rehausse le prix du ticket. Diabolique mais efficace !

Vers 10 heures, la doctoresse Seheno passe dans la chambre et dit à maman qu’elle rentrera probablement lundi, sans préciser si ce sera lundi matin ou dans l’après-midi. Elle dit pour la jeune fille opérée au lèvre qu’elle restera probablement encore pour quelques jours afin d’être réopérée. Il ne faut pas se hâter de rentrer dit-elle, il faut que tu sois réopérée pour que cette lèvre sera parfaite. Cela met la jeune fille au bord des larmes, elle qui se voyait déjà rentrer aussi lundi comme Hary et maman. Cela aussi est la faute aux médecins, Dr Misa et Dr Roger lui avait déjà laissé entendre qu’elle rentrera bientôt et que ce qui reste de gonflement sur sa lèvre sera peu à peu absorbé, elle était déjà bien contente d’entendre cela.

Nous avons pitié de cette jeune fille qui tombe en larme dès que Dr Seheno sorte de la pièce. Toujours cette hâte de certains médecins à ce que certains lits soient vite évacués afin de permettre aux nombreux patients en attente d’hospitalisation de les occuper.

Vers 11 heures, maman nous dit d’apporter le fisaorana (remerciement) à la sage-femme qui nous avait prévenus lorsque nous étions à Ihosy de l’arrivée de ce chirurgien spécialiste vasculaire. Le fisaorana est très présent dans la vie quotidienne malgache, par exemple toute bénédiction nuptiale se termine presque toujours par le fisaorana qu’on donne au prêtre qui a officié, en plus de la quête lors de la cérémonie. Le fisaorana consiste en une somme qu’on met dans une enveloppe [généralement de couleur beige ou blanche dans la joie, rarement de couleur bleue, cette dernière étant souvent réservée pour le faho-dranomaso (littéralement essuie-larme) qu’on donne lors des décès pour aider dans les divers préparatifs funèbres la famille éplorée] qu’on donne et dont la contenue diffère selon la possibilité et l’idée de celui qui le donne.

Tous les 4 (Maman, René, Cécile et moi) nous nous sommes mis d’accord sur la somme de remerciement qu’on va donner à la sage-femme sans qui on n’aurait pas pu venir : 20.000 ariary soit 100.000 francs (7,33 €), environ le tiers de son salaire mensuel je pense.

Moi et mon beau-frère donc descendons au village pour apporter le fisaorana à la sage-femme qui n’est pas de garde aujourd’hui, lorsque nous arrivons à sa maison elle n’est pas là car elle est sortie, nous décidons de revenir un peu plus tard. Nous sommes déjà partis lorsque nous l’apercevons qui se dirige vers sa maison. Nous décidons de revenir chez elle.

Elle s’est débarrassée de son sac et veste lorsque nous arrivons. Elle nous invite à entrer dans un petit living simple mais chaleureuse. C’est mon beau-frère en tant qu’aîné en âge qui s’occupe du petit kabary (discours) de remerciement après avoir énoncé le but de notre visite et c’est moi qui après le petit discours lui donne l’enveloppe.

La sage-femme après avoir pris l’enveloppe nous remercie dans un court discours comme le veut la tradition. Après cela nous restons un peu discuter de choses et d’autres puis nous prenons congé de notre hôte. Le tout a durée une dizaine de minutes à peine.

(A suivre)

24 September 2006

L'opération (suite 13)

Vers midi, ma sœur et mon beau-frère partent au village pour y déjeuner et commander un plat pour emporter à l’hôpital, moi je reste à l’hôpital avec notre convalescente et je vais descendre déjeuner à mon tour à leur arrivée. J’en profite pour regarder encore et toujours journaux et livres, il n’y a presque plus rien à lire car j’ai à peu près tout lu. Ma mère s’endort et Hary et son mari discutent, la vieille dame qui veille sur la jeune fille du lit à droite somnole dans son siège. Cette jeune fille est son dernier enfant. Elle a déjà été opérée au lèvre inférieure même si cette dernière est encore assez volumineuse, d’après sa mère, c’était encore vraiment pire que ça avant l’opération : au moins le double en volume. Lors d’une précédente visite des médecins, le docteur Roger a dit qu’elle pourra sortir et rentrer dans son lointain village lundi, ce qui l’a mis en joie, que sa lèvre inférieure reprendra peu à peu un volume normal, alors que lors de la visite de ce matin le jeune docteur italien a laissé entendre une deuxième opération la semaine prochaine pour que ce soit parfait.  

Sa mère nous raconte que dès sa naissance la lèvre inférieure de sa fille était déjà importante et cela a augmenté avec les années. Elle était scolarisée mais a bien vite abandonnée l’école au bout de 4 ans à cause des moqueries de ses camarades de classe. Elle est alors devenue timide et renfermée sur elle-même.

Vers 13h 30 ma sœur et son mari sont revenus et je descends à mon tour au village pour casser la croûte. Là dès que Zana la bonne de l’hôtelier m’aperçoit elle me demande un billet de 100 ariary (0,03 €) pour regarder une séance au vidéo club du coin ce soir. C’est la troisième fois en quatre jours qu’elle me demande de l’argent mais je lui donne volontiers, d’autant qu’elle s’occupe bien de nos repas et de l’eau pour nos toilettes à l’hôtel. Le vidéo club et je crois la seule distraction possible dans ce bled perdu, il marche bien évidemment au groupe électrogène. Les seuls films qui marchent sont les films de karaté ou kung-fu, commando pour ceux de production étrangère, depuis quelques années les films malgaches font fureur, aussi bien pour les films d’action que les films de comédie ou films d’amour dans la langue du pays. Les maisons de productions de films malgache poussent comme des champignons depuis 3 ans, avec caméscopes, et deux ou trois magnétoscopes et quelques outils, tout le monde se fait « cinéaste », lol ! Evidemment les budgets sont vraiment minimes et parfois les acteurs ne sont pas payés, mais quelques acteurs commencent à vraiment percer au niveau local.

Vers 14h après avoir déjeuner, je passe acheter chez Rafily trois petits brick de jus d’orange (1500 ariary = 0,55 €) pour maman, Cécile ma sœur et René son mari ainsi qu’une plaquette de 85 g de chocolat Robert au lait (2000 ariary = 0,73 €). Je commence à m’habituer au prix de chez Rafily qui est toujours moins inférieur qu’en ville. L’après-midi nous discutons notamment sur le propos du Dr Roger qui avait dit après la consultation que maman sortira samedi et qui n’était pas évidemment possible, on sort aussi de temps en temps prendre l’air sur la galerie. Justement lors d’une sortie sur la galerie intérieure qui donne sur la cour aux parterres fleuris, je remarque un homme très décharné qui sort de la chambre « médicine H » (pour ces messieurs donc) contiguë à celle de ma mère, il a un peu de mal à tenir sur ces jambes. Il est tellement décharné que ça fait presque peur, comme s’il est tout droit sorti d’un film documentaire sur Auschwitz, je me pose deux questions, soit c’est un tuberculeux en phase terminale soit un sidéen, à moins que ce ne soit les deux. Je penche pour la première supposition. Mais pourquoi ne pas mettre dans un bâtiment à part ces malades ? J’ai déjà entendu que les tuberculeux traités cessent d’être contagieux après trois semaines de traitement mais tout de même. Je rentre assez vite dans la chambre et notre discussion entre gardes malades continue, en fait les lits de l’hôpital ne sont pas suffisants pour les malades, voilà pourquoi certains médecins désirent libérer plus vite certains lits, d’autre part l’hôpital continue encore et toujours son extension, d’où ce nouveau terrain d’environ un hectare qu’on est en train de clôturer sur le bord droit de l’allée qui mène à cet hôpital en forme de U. Peut-être que l’extension finie, les tuberculeux seront mis dans une aile spécialement aménagée pour mieux les traiter et aussi pour éviter les contaminations. Il semble que tous les occupants de la chambre H sont tous de tuberculeux. Le plus grave c’est que la plupart des gens ne viennent dans cet hôpital que lorsque leurs maladies sont déjà dans un état bien critique. Même si l’hôpital est bien renommé, il ne peut tout de même faire des miracles lorsque la maladie est déjà avancée chez le malade.

Bientôt il fait déjà nuit. Mon beau-frère et moi descendons au village vers 18h30 et il reviendra à l’hôpital avec les repas pour maman et ma sœur. Après dîner je paie comme toujours avec l’addition le prix de la nuitée de la chambre. Mon beau-frère ne monte pas tout de suite à l’hôpital car il cède lui aussi de temps en temps à son péché mignon pour 1500 ariary le 65cl (0,55€): la boisson Three Horses Beer, une bière blonde produite localement et qui a déjà obtenu au moins une dizaine de médailles d’or et d’argent lors des mondes sélections de Bruxelles, la dernière en date est une médaille d’argent à Bruxelles 2004. Il partage avec le père Jean-Claude cet engouement assez modéré heureusement pour le THB qui est une fierté nationale de par ses succès à l’échelle mondiale.

Après le départ de mon beau-frère je fais mon lit et m’endors.

Dimanche 30 juillet 2006 :

Lorsque j’arrive à l’hôpital ce matin-là, j’entends une mauvaise nouvelle : un des tuberculeux de la chambre H est décédé.

Et voilà qu’en deux jours il y a deux morts, et ce n’était pas encore fini.

(A suivre)

 

 

 

18 September 2006

L'opération (suite 12)

Samedi 29 Juillet 2006 :

Je me réveille de bonne heure, dans mon lit ma première pensée c'est de savoir si maman s'est enfin réveillée de son profond sommeil. Je vais au petit coin puis me lave un peu plus vite que d'habitude avant d'aller à l'hôpital. Je prends la route de l'hôpital à 6h du matin, un peu partout le long du chemin on sent comme tous les matins des odeurs de cafés fumants et de mofo gasy (sorte de doux beignets typiquement malgache faits avec de la farine de riz) sortant des chaumières et gargots qui se trouvent sur les côtés.

Quelques uns des passants qui vont comme moi prendre la route de l'hôpital s'y arrêtent pour leur traditionnel café matinal, moi qui ne bois que très rarement du café je passe mon chemin. Le froid matinal me saisit et des brouillards assez épais enveloppe la vallée tout autour.

A 6h 15 j'arrive enfin à l'hôpital. Je rentre dans la chambre et vois ma sœur qui est assis sur la chaise près du lit, quant à ma mère elle dort. Ma sœur me dit que maman ne s'est réveillée qu'à 3h du matin ! Elle était bien contente de trouver à son réveil ma sœur et mon beau-frère puis elle a demandé où j'étais, ma sœur a répondu que j'étais au village mais viendrais tôt dans la matinée. Peu après son réveil elle s'est rendormie. Les gardes malades de la chambre se relaient dans la douche et préparent leurs couches et couvertures qui vont être descendu au village, justement celui de mon beau-frère vient d'être fin prêt dans le sac camouflage. On discute un peu puis peu après ma mère se réveille pour la deuxième fois. Elle est encore un peu faible mais déjà bien consciente, sa perfusion sera arrêtée dans la matinée dixit le médecin. Elle pourra déjà prendre des légers repas.

Je passe mes bras dans les deux anses du sac et les mets sur les épaules, le sac dans le dos puis repart au village passer la commande du petit déjeuner. Ce sera du sosoa avec du kitoza (viande fumée ou séchée qu'on grille ou qu'on frit dans de l'huile) pour tous les quatre, bien tendre comme l'hôtelier sait le faire. Mon beau-frère descend au village avec moi, on va y manger puis revenir apporter à l'hôpital le petit déjeuner de maman et ma sœur. A 7h 10 environ on repart pour l'hôpital pour y rester jusqu'à l'heure du déjeuner. Mon beau-frère s'arrête sur une paillote au bord du chemin pour acheter le café quotidien de ma sœur qui en est une adepte ainsi que quelques mofo gasy pour accompagner ça, il m'en donne, ce que j'accepte volontiers vu le temps que je n'en ai plus mangé, au moins un an !

Sur le chemin, il me dit que sa femme va sûrement demander son café à notre arrivée. En effet, dès la grille en vue, nous apercevons ma sœur assis sur le muret de la galerie, dès que nous sommes à 3 mètres, la première chose qu'elle demande c'est « Où est mon café ? » Ce qui nous fais bien rire et elle rit à son tour. Mon beau-frère sort de son blouson la bouteille où il a mis le café et le lui tend avec les mofo.

Peu après notre retour à l'hôpital, un jeune homme d'une vingtaine d'année entre dans la chambre, c'est le mari de Hary, la malade de gauche qui a été opéré de fibrome. Il a apporté un petit poste de radio avec lui et qu'il met en marche sans tarder afin de mettre un peu d'ambiance dans la chambre. Comme toujours ici à la campagne, c'est la radio AVEC d'Ihosy qu'on écoute. Plusieurs annonces passent sur fond de bande annonces, entre autre le passage de la chanteuse Solange Kininike ici à Sakalalina pour un spectacle le lundi 31 juillet. Solange est une chanteuse très connue partout à Madagascar, aussi connue pour ses rythmes musicales très chaudes aussi bien que pour ses danses des fesses avec ses danseuses, lol ! Comme si leurs derrières étaient prises de la danse de saint-Guy !

Après des interminables annonces en tous genre, on a enfin droit à de la musique, j'apprécie en particulier l'indémodable « Ballade pour Adeline » de Richard Clayderman, suivi de plusieurs autres aussi bien locale qu'internationale dont un vieux tube de Boney M. Je me disais que ça doit être François de Paul, un de nos clients du bar à Ihosy qui est à l'animation vu qu'il raffole de ce vieux groupe.

Radio et journaux aident à passer ainsi le temps. Une infirmière passe vers 8h 30 arrêter la perfusion de maman, la veille le docteur a déjà dit que maman peut manger à partir d'aujourd'hui car c'est sa jambe qui a été opéré et non le ventre. Pour Hary le docteur a été formel, elle ne devra songer à manger qu'à partir du moment ou elle commence à dégager de l'air, une litote pour dire péter.

Vers 9h maman mange de bon appétit son sosoa au kitoza, elle mange avec une telle faim que ma sœur qui n'a pas encore mangée la sienne décide de lui donner une bonne moitié de sa part, c'est bon signe pour notre malade qui se remet de son opération et de ses émotions vu qu'elle aussi avait particulièrement peur.

Vers 10h deux doctoresses passent pour des visites et dit à Migy, le mari de Hary qui ressemble un peu à Carl Lewis mais en plus petit, d'arrêter pour un moment la radio car les chirurgiens vont bientôt visiter les malades qui ont étés opérés dans les chambres.

Vers 11 heures en effet, plusieurs docteurs dont pas mal de chirurgiens visitent les patients opérés. Ils regarde la jambe gainée de maman et commente des choses entre eux, surtout les deux italiens, le vieux et le jeune, Dr Roger traduit qu'on doit mettre quelque chose sous le matelas afin de surélever la jambe qu'on vient d'opérer. Le jeune médecin italien nous regarde et je lui adresse un « grazie mille » pour s'être occupé de l'opération de maman. Il ne dit rien me sourit, content qu'on lui adresse deux mots dans sa langue maternelle.

Vers 11h15, quelques temps après le passage des médecins, je sors sur la galerie prendre l'air et un peu de soleil, pas plus de 5 minutes tout de même pour ne pas devenir une écrevisse avec mon allergie. Je m'assois près du mari de ma sœur et de Migy qui y sont déjà. A peine je m'assois depuis 2 minutes que je suis intrigué en remarquant une chose chez Migy et que je n'ai pas vu chez sa femme, les ongles courts de Migy ont des vernis écaillés rouges vifs ainsi que ses orteils à travers ses sandales ! Je souris un peu : imaginez Carl Lewis avec des ongles vernis, ce serait drôle. Migy n'a pourtant rien d'efféminé du tout et voilà une chose qui m'intrigue beaucoup chez pas mal de mecs ici, dans ma région en tous cas. Un de nos clients du bar, menuisier de son état, velu et taillé comme une armoire à glace a trois ou quatre doigts vernis. A la caisse nationale de prévoyance ou à la banque, il n'est pas rare de voir des clerks avec deux ou trois ongles vernis….

Soudain une triste nouvelle s'échange parmi les gardes malades ou patients sur la galerie. Un enfant dans le service pédiatrie est mort, ce doit être l'enfant que le père Jean-Claude a baptisé.

(A suivre)